Luya, Maurice

Maurice Luya naît le 19/06/1924 à Monestier de Clermont, Isère, France (FR) - décès le 13/05/2014

Entrée en résistance :

Arrestation : Arrestation pour faits de résistance le 26/08/1943 à Grenoble, Isère

Détention avant déportation :

  • au camp de Saint-Paul-d'Eyjeaux
  • au camp de Saint-Sulpice-La-Pointe

Déportation de répression en 1944 :

  • au camp de Buchenwald avec affectation au kommando de Rottleberode jusqu'au 02/04/1945
  • au camp de Oranienbourg-Sachsenhausen - évasion au cours d'une "Marche de la mort" début mai à Parchim

Interventions

2010 / Vaulx-en-Velin / lycée Doisneau

  • Date du témoignage : 15/03/2010.
  • Contexte : Intervention devant des lycéens lors d'une discussion avec la journaliste Anne Sizaire (autrice des Roses du mal et de Primo Levi, L'humanité après Auschwitz) et Jean Sintès de l'AFMD du Rhône.
  • Source : AFMD du Rhône (publication le 22/03/2023)
  • Date d'ajout à la base : 07/03/2023
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Ceci est la transcription brute de l’échange sans coupe, sans montage.

Anne Sizaire :

00:02:14 : Les Allemands ont mis très longtemps à pouvoir assimiler tout ce qui s’est passé, à pouvoir reconnaître les différents mouvements de résistance et d’ailleurs le clivage Est-Ouest n’a pas facilité les choses parce que justement il y avait des bribes d’histoire, la rose blanche à l’ouest, tout ce qu’avait fait les communistes à l’est, donc il n’y avait pas tellement de communication. Ce qui m’a frappé quand j’ai fait mon enquête c’est que le mémorial de la Résistance allemande à Berlin n’a été créé qu’en 1983, la résistance allemande devait être la mauvaise conscience de l’ensemble des Allemands c’est pour ça qu’on en parle et si peu. Les veuves des officiers qui étaient dans l’attentat de juillet 44 ont vécu dans la misère paraît-il pendant des années jusque 55-60 elles n’avaient pas de pensions parce que leurs maris étaient considérés comme des traîtres dans leur pays simplement parce qu’ils avaient voulu se débarrasser d’Hitler.

00:03:19 : Le petit livret sur le programme national de la résistance chaque fois que je peux je le fais passer et à des biens plus jeunes que moi en insistant à chaque fois sur regarder ce qu’on a essayé de faire en 45 et regarder ce qui est en train d’être saboté aujourd’hui. Quand est-ce qu’on enseigne au niveau de l’histoire il y a déjà pas mal de périodes occultées mais effectivement moi je vois venir aussi, pas plus tard qu’aujourd’hui j’ai passé 1h au CDI du Lycée Doisneau et la documentaliste me disait que finalement le seul moment on parle un peu longtemps aux jeunes de cette période c’est la fin de la troisième. Récemment on a dit qu’on allait supprimer les cours d’histoire pour les sections scientifiques en terminal.

00:04:14 : Je voulais dire justement aussi que ce livre que j’ai fait sur les Allemands au départ je l’ai fait à cause du traumatisme énorme que j’ai eu en assistant au procès de Klaus Barbie c’est ça qui a déclenché ma démarche je me suis dit où étaient les êtres humains ? les êtres humains j’en ai trouvé pleins et je m’appuie beaucoup sur ce bouquin pour dire aujourd’hui, aujourd’hui la résistance çà continue aujourd’hui parce que les Allemands à la différence de nous parce que souvent quand on dit aux gamins qu’est-ce que c’était la Résistance ils disent c’était se battre contre l’occupant allemand or la résistance ça va bien plus loin que ça c’est se battre contre les institutions de son propre pays et contre le régime et le système mise en place et c’est bien ce qu’on fait les Allemands ils se battaient pas contre les occupants ils se battaient contre leur propre régime.

Maurice Luya :

00:05:11 : Je pense que ce que vous avez développé c’est très complexe. Pourquoi le programme du CNR n’est pas diffusé de façon très large, il suffit de réfléchir 5 minutes, les diffuseurs de matériels de propagande n’ont pas du tout intérêt à faire connaître le programme du CNR parce que c’est l’antithèse de ce qui se passe actuellement. Seules les organisations dites démocratiques qui défendent un certains nombre d’idées, diffusent le programme du CNR, c’est un programme qu’on rencontre pas dans tous les coins de rue et c’est dommage et c’est à nous de faire un effort nécessaire.

00:06:10 : Moi j’ai eu le désavantage d’être enfermé dans un camp de concentration puisque j’étais à Buchenwald, en 51 j’ai eu l’occasion de retourner en Allemagne au camp de Buchenwald. La fin de la guerre était arrivée il y avait deux blocs qui étaient en présence, les politiques qui étaient très différentes amenaient un certains nombre de choses dans la vie de tous les jours. Par exemple quand nous avons décidé en 51 de retourner à Buchenwald les Américains nous ont empêché de passer par leur zone alors pour retourner à Buchenwald qui était en Allemagne de l’Est on était obligé de passer par la Suisse, la Tchécoslovaquie et remonter et vous voyez les difficultés… En Allemagne de l’Est à cette époque-là on a été reçu d’une façon formidable, les anciens déportés allemands qui étaient encore vivants occupaient des postes importants en Allemagne de l’Est et avaient érigés en politique leur sentiment à eux. On a rencontré des gens qui étaient très favorables à nos idées. Alors qu’on sentait que du côté de la RFA il y avait une différence par exemple il y avait eu tout de suite en 50 une attaque contre le camp de Dachau à côté de Munich, il était question de supprimer le camp de Dachau de faire une autoroute qui traversait le camp, il a fallu vraiment une bataille assez importante pour que ce projet soit supprimé. Ces différences venaient à mon sens de fait qu’il y avait une confrontation idéologique entre 2 mondes différents.

Anne Sizaire :

00:08:47 : Par rapport à l’Europe dans ce que disais tout à l’heure Stéphane Hessel que y’avait cette dimension européenne qui était présente chez les résistants français elle était aussi tout à fait chez les résistants Allemands. C’était un point commun. Il y avait le Cercle de Kreisau, il y avait autant des aristocrates des socialistes des communistes il y avait toutes les tendances de la Résistance qui étaient représentées, les membres de l’Orchestre Rouge allaient souvent à Kreisau et eux aussi avaient élaboré un projet d’une future Europe débarrassée des dictatures mais ça devait être parallèle, ça devait peu connaître le document français mais ils essayaient d’élaborer leur propre document et il paraît je connais pas dans le détail je suis pas juriste pour le dire ils ont appelé en Allemagne à la fin du nazisme ils ont appelé ça l’Année zéro, on recommence tout et la Constitution qu’ils auraient faits plutôt à l’ouest interdirait toute possibilité d’une nouvelle arrivée d’un Hitler.

00:10:16 : Quand j’ai écrit le livre, j’ai essayé de faire absolument abstraction de la suite de l’histoire à propos des maquisards allemands qui étaient chez nous en Haute-Lozère, dans les Cévennes etc. c’était des gens extraordinaires de courage et d’humanité, ils étaient tous communistes après ils sont partis à l’Est mais c’est ce que j’ai appris récemment c’est qu’à partir de 61 je crois à Berlin les communistes ont été obligé d’aller à l’est même si ils auraient préféré rester dans le quartier où ils habitaient à l’époque à Berlin ils ont été chassé. Quand j’ai écrit le chapitre sur ces gens je voulais pas prendre en compte la suite parce que sur le moment ce sont des gens qui ont été extraordinaire il y avait des gens très bien en Allemagne de l’Est aussi et puis il y avait la domination, l’impérialisme comme l’a dit Hessel tout à l’heure de la Russie.

Jean Sintès :

00:12:12 : A Lyon il y avait un groupe d’une quarantaine à 50 allemands et autrichiens anti-nazis. La capitale, Lyon, de la Résistance. Ces Allemands-là sont souvent ignoré. Dora Schaul en particulier qui habitait rue de Gerland et ailleurs a fait un travail extraordinaire, je voudrais que tu puisses un peu en parler. Il reste encore une trace parce qu’il y a une tombe d’un allemand antifascistes à Quincieux.

00:12:54 : Dora Schaul a disparu en 99, on peux aller voir son témoignage aux CHRD parce que je l’ai emmené quand elle est venue en 95 je l’avais invité j’avais fait une conférence au CHRD sur ce livre, la directrice m’avait expliqué qu’elle avait eu du mal à emporter le morceau parce que le conseil d’administration la résistance allemande il voulait quasiment pas en parler j’ai fait enregistrer en vidéo Dora comme les autres résistants qui ont été enregistré là-bas et en plus les gens étaient très étonnés le vidéaste et la personne qui l’interrogeait, et je leur ai dit il y en a d’autres allemand ? non c’était la seule. Dora a fait quelque chose de très important elle se baladait au parc de la Tête d’Or pour avoir quelques informations en se faisant draguer par les soldats allemands, elle a fait des choses plus importantes à la brasserie Georges que tout le monde connaît, elle était serveuse alsacienne et ça lui a permis de faire passer pas mal d’informations la Résistance française en écoutant les conversations surtout en fin de repas et la chose qu’elle a fait encore de plus dangereux de plus important elle a été obligé de quitter la brasserie Georges parce qu’il y a eu des contrôles d’identités, on a demandé à tous les gens qui travaillaient à la brasserie de pouvoir fournir des papiers d’identités de leurs parents etc ça nous rappelle quelque chose aussi aujourd’hui elle a disparu dans la clandestinité et elle est devenue à moitié Suisse et là elle s’est fait embaucher par la poste allemande qui se trouvait justement au CHRD juste à côté des derniers locaux de la Gestapo ce qui fait que ça devait pas être évident pour elle de jouer son double jeu parce qu’elle voyait souvent sortir ou faire rentrer des gens qui ne ressortaient pas ou sortir dans un état catastrophique et c’était ses compagnons de résistance et là elle faisait un travail très très important parce qu’à cause des codes postaux des soldats allemands qui envoyaient des lettres à leur famille ça permettait à la résistance de localiser où se trouvaient les soldats allemands dans la région. Elle a pu avoir un peu au dernier moment un certificat qu’on a enregistré justement dans le témoignage vidéo de la Résistance française en disant qu’elle s’était battue à nos côtés pour les mêmes valeurs et ça a été très très fort pour elle comme pour moi quand elle est venue en 95 parce qu’ à l’endroit même où elle avait résisté, mais à l’époque évidemment dans la clandestinité la plus totale là elle a pu dire à des français et ben voilà moi j’étais allemande et j’étais résistante avec vous et je suis très heureuse qu’elle ait pu vivre ça et surtout au même endroit parce que c’est à ma connaissance la seule de résistantes allemandes à Lyon j’en ai jamais rencontré d’autres.

00:19:23 : La résistance va être occultée par n’importe quel système et je pense pour une raison très précise : la résistance et le fait en général des individus, des individus qui vont se regrouper qui vont travailler ensemble dans la fraternité, comme disait Hessel. Cn se rend compte que les mouvements de résistance, ça vient de gens qui prennent conscience, comme disait aussi tout à l’heure Stéphane Hessel, il y a pas que la raison, il y a la conscience et qui ose se lever et qui se lève en général tout seul et ça ça dérange beaucoup les gouvernements parce que c’est très déstabilisant. Par rapport à la déstabilisation de l’armée allemande et de toutes les actions qui ont été mené dans la résistance allemande d’abord ça a couvert tous les milieux jusque aux aristocrates et d’ailleurs certains chrétiens en Allemagne les catholiques Allemands ont dégusté, ils ont sauvé des gens ils sont partis aussi dans les camp dans les camps il y avait toujours un prêtre sous la main sans problème.

Il y en avait plein. Il y avait les communistes, il y avait l’extrême gauche, il y avait les anarchistes dont on parle très peu parce que par définition c’était très individuel il y avait beaucoup de anarcho-syndicalisme c’était un mouvement très très fort dans les années 25 en Allemagne et qui ont été les premiers décimés. La fédération allemande anarchiste à été vraiment décimé. Erreur sur les années 20 enfin dès l’arrivée du nazisme. Ça a été extrêmement rapide. Quand au problème du négationnisme je pense qu’on y sera toujours confronté bien entendu oui ça va on a plus vite fait d’oublier les mauvaises choses histoire de les recommencer et moi si je parle de la Résistance aujourd’hui il y a des gens autour de moi qui me disent oui mais c’est vieux tes histoires on ferait mieux de s’occuper de ce qui se passe aujourd’hui mais je leur dis mais justement ce qui se passe aujourd’hui les résistants nous donne des armes les résistants du passé pour se battre aujourd’hui les Allemands se battaient tout seul dans leur coin il y en avait qui n’avait aucun réseau qui était tout seul à essayer de balancer quelques tracts, d’écrire quelques graffitis et sauver leur propres amis juifs et ces gens-là il devait se dire ça sert à rien ce qu’on fait mais justement si ! ça sert parce que petit à petit on va arriver, on a de plus en plus de témoignages mais ces témoignages ils vont nous aider à résister nous aujourd’hui et vont aider nos enfants à résister demain parce que je crois qu’il va y avoir vraiment besoin de résister.

2010 / Vaulx-en-Velin / école primaire Anatole France

  • Date du témoignage : 08/03/2010.
  • Contexte : Interaction entre des élèves de CM2, Maurice Luya et Marcel Roche, encadré par l'enseignante Nathalie Tourtellier.
  • Source : AFMD du Rhône (publication le )
  • Date d'ajout à la base : 06/03/2023
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Ceci est la transcription brute de l’entretien croisé de Marcel Roche et Maurice Luya, sans coupe, sans montage.

Cassette 2

00:02:22 : Combien de temps avez-vous été retenu dans un camp de concentration ?

Maurice Luya : Alors là ça va être deux réponses parce qu’on a pas du tout tous les deux le même parcours. Moi j’ai été arrêté en 43 donc j’ai fait de la prison, du camp en France et ensuite camp de concentration proprement dit. C’est-à-dire en Allemagne à partir de juillet 44 jusqu’à mai 45 environ 10 mois donc c’est pas très long mais c’est bien suffisant.

Marcel Roche : Moi j’ai été arrêté le 19 août 1941. J’ai été condamné par les tribunaux français à 5 ans de travaux forcés et à partir de là j’ai fait plusieurs prisons jusqu’à mon départ en Allemagne qui date du 18 juin 44 au 30 avril 45, ça fait à peu près une petite année en camps de concentration mais auparavant je suis resté quand même 3 ans en France dans les prisons française, gardé par des Français.

Maurice Luya : Parce qu’il faut bien faire la différence entre camp de concentration et camp d’internement ou prison en France, c’est deux choses différentes, les régimes sont pas les mêmes, c’est pas les mêmes gens qui vous gardent ça fait une différence.

00:04:28 : Qu’avez-vous le moins supporté ?

Maurice Luya : Il y a beaucoup de choses que j’ai moins supporté, ce qui était le plus difficile à mon avis c’est le le fait qu’on était entouré de gens qu’on comprenait pas, parce qu’il faut dire dans les camps de concentration il y avait plus de 20 nationalité. Il y avait des gens qui parlaient russe, polonais, tchèque, toutes les langues possibles et inimaginables. En Europe, il y a beaucoup de pays qui ont leur langue propre, non c’était très difficile à discuter alors quand on avait la chance d’être avec des Français ça allait bien donc on supportait beaucoup mieux l’absence de repère mais quand on était avec des étrangers c’était plus difficile c’est une des difficulté il n’y a pas que celle-ci. Personnellement ce que j’ai le moins supporté c’est les coups qu’on recevait parce qu’on recevait beaucoup de coups. Et puis vers la fin les marches de la mort.

Marcel Roche : Le plus difficile à supporter pour moi, la privation de la liberté, être obligé de subir et de ne pouvoir rien dire parce que c’était tracé comme ça, il fallait faire ça, on vous demandait de charger des morts pour les mettre sur un tombeau fallait le faire, fallait creuser un trou, on creusait un trou on n’était pas libre de choisir ce qu’on pouvait faire, on nous imposait on peut pas dire j’ai mal au dos j’ai ceci cela j’ai froid non ! c’est marche ou crève ! c’est difficile de vivre comme ça entouré de gens comme dit Maurice on n’a pas la même langue. Et même si on était d’accord on se comprenait pas quand même. On subissait la même chose les uns et les autres.

Maurice Luya : Le camp de concentration c’est un régime d’esclavage, je sais pas si vous avez déjà appris à l’école ce que c’est qu’un esclave quand vous êtes un esclave vous avez aucun droit vous devez obéir à tout ce qu’on vous dit et vous taire ça c’est un esclave. Tu prends le caillou tu le mets ici il prend le caillou et il le met ici, le lendemain on lui dit tu reprends le caillou tu le remets là où tu l’as pris la première fois et il le fait aussi sans rouspéter sans rien dire c’est ça un esclave. C’est ça le plus important dans les camps de concentration c’est ce régime d’esclavage. Au 20e siècle il y avait de nouveaux des esclaves c’est les gens qui étaient dans les camps de concentration. Vous apprendrez tout ça un peu plus tard à l’école, les esclaves dans le temps etc, etc. C’est ça l’image que vous devez conserver, les gens dans les concentrations étaient des esclaves et les esclaves ça doit rien dire ça doit obéir.

00:08:53 : Comment les Allemands vous ont-ils attrapé et quel âge aviez-vous ?

Maurice Luya : Les Allemands ils n’ont pas eu de difficultés pour nous attraper, à l’origine c’est les Français qui nous ont arrêté. La France, à cette époque-là, avait un régime particulier et nous on était contre le régime qu’il y avait, donc à un moment donné, pour un certains nombre de raisons, les Français nous ont arrêté et nous ont mis en prison et dans les camps en France. Les Allemands ça a été très facile un jour ils sont venus ils ont pris tous les gens qui étaient dans ce camp là et puis ils les ont emmené en Allemagne, ça a été très facile. Et pour répondre à la question à cette époque-là j’avais 19 ans.

Marcel Roche : Moi j’ai été arrêté à 19 ans, j’ai bourlingué 3 ans dans les prisons, j’avais 21 ans quand j’ai été livré aux Allemands. A ce moment-là j’ai été à la centrale d’Esse et on était 200 résistants on a été livré par Vichy aux Allemands.

Maurice Luya : L’Histoire vous expliquera un peu plus tard, quand il y a eu la fin de la guerre, la France a été occupé, a été coupée grosso modo il y avait 2 morceaux : il y avait la France qui était occupée par les Allemands, la France qui n’était pas occupée par les Allemands, nous dans la région on était pas occupé par les Allemands. Il y avait à ce moment-là pas d’allemands dans la France dans la zone non occupée donc c’est la police française qui nous a arrêté et qui nous a livré aux Allemands.

00:11:10 : Quand vous vous êtes échappé où êtes-vous parti ?

Maurice Luya : Personnellement ça s’est pas passé comme ça. A la fin de la guerre, quand il y a eu la libération des camps il y a eu un certain nombre d’aventure pour un certain nombre d’entre nous très différentes les uns les autres. On a fait les marches de la mort, on est arrivé jusque dans le nord de l’Allemagne à pied, j’ai eu l’occasion avec un de mes camarades de m’évader de la colonne qui nous conduisait j’ai rejoint des prisonniers de guerre français et qui nous ont gardé avec eux quelques jours avant que les Anglais arrivent. La libération pour moi s’est passée comme ça.

Marcel Roche : Moi j’ai été libéré le 30 avril par les Américains, on s’est retrouvé isolé comme ça jusqu’au premier blindé américain qui sont arrivés vers 11h30. A partir de ce moment-là on était libre.

Maurice Luya : Ce qu’il faut dire c’est que pour nous la Libération a été très difficile parce que les survivants des camps de concentration étaient tellement faibles par le régime qui leur aurait été imposé la Libération s’est passé pour nous sans éclat parce qu’on était pas en état physique pour crier de joie etc. la moitié était étendue par terre à l’état de presque cadavre, ça a été une libération oui d’accord mais une libération sans joie.

Marcel Roche : En plus de ça on avait pas mal de camarades qui étaient disparus c’était pas une réjouissance mais on était libre.

00:14:10 : Est-ce que certains de vos amis sont morts pendant la guerre ?

Maurice Luya : Quand j’ai été arrêté nous étions trois, il y en a un qui est mort en Allemagne, les deux autres on est rentré tous les deux, l’autre est mort depuis un certain nombre d’années, le premier copain est mort en Allemagne. Des amis morts y’en a eu des multitudes, il faut dire pour donner un ordre de grandeur nous étions partis sur la route nous étions 2.500 quand nous sommes arrivés il en restait 250. Il y en a 9 sur 10 qui était mort. Il y a beaucoup de gens que je connaissais à peine. Il y en a énormément de déportés qui sont morts à leur retour de déportation parce qu’ils sont revenus tellement faible tellement dans un mauvais état qu’ils ont pas pu survivre très longtemps.

Marcel Roche : Et puis on n’a pas eu les soins nécessaires.

Maurice Luya : A cette époque, quand nous sommes revenus de déportation, il n’y avait pas ce qu’on fait maintenant, les cellules psychologiques etc. ça existait pas en ce temps-là, on revenait il fallait se débrouiller.

Marcel Roche : Il fallait surtout reprendre le boulot.

Maurice Luya : Pour manger il faut de l’argent, pour avoir de l’argent il faut travailler donc si vous voulez la majorité d’entre nous qui étions des gens assez jeunes il a fallu qu’on aille travailler on nous a pas demandé si on voulait se reposer, si vous voulez vivre si vous voulez manger il faut travailler voilà ça s’est passé comme ça.

Marcel Roche : Mais moi personnellement, quand je suis rentré en France, je suis rentré le 1er juin 45, au mois d’octobre, je repartais au boulot on avait pas le choix, on avait pas des possibilités, on était tout juste habillé.

Maurice Luya : Quand je suis arrivé à la frontière française il y en avait qui était beaucoup habillé en déportés encore et y’en avait comme moi qui était habillé en loque parce que les prisonniers de guerre m’avaient donné un certain nombre de vêtements, à la frontière française on nous a donné un costume ce qu’on appelle le costume Pétain, Pétain donnait aux gens un costume qui étaient rapatriés, à cette époque-là qui était gris, marron, De Gaulle avait pris le même costume et l’avait fait teindre en bleu marine donc on nous a donné un costume bleu marine, et 500 francs de l’époque donc c’est pas grand-chose on a mis dans un train et débrouillez-vous.

Marcel Roche : Bien sûr que ceux qui sont revenus sur une civière ils ont eu une entrée dans les hôpitaux mais ceux qui étaient valides et jeunes, débrouillez-vous.

00:17:55 : Est-ce que vos enfants ont connu la guerre ?

Maurice Luya : On était assez jeune à cette époque-là, retour d’Allemagne, la majorité d’entre nous on a repris le travail et les gens ils ont constitué une famille ils se sont mariés ils ont eu des enfants mes ces enfants là n’ont pas connu cette guerre là ils en ont connu d’autres puisqu’il y a eu la guerre d’Algérie etc mais ils ont pas connu cette guerre là.

00:18:40 : Avez-vous été déportés dans plusieurs camps ? si oui citez leur nom.

Marcel Roche : J’ai été déporté à Dachau, j’ai passé la quarantaine à Dachau et après on était transporté surtout dans des kommandos qui dépendaient du camp de Dachau. Mon parcours c’est Dachau, le camp d’Alac [?] [orthographe à vérifier] et puis après dans les kommandos pour travailler dans des usines, je dépendais toujours du camp de Dachau. Au moment de la Libération on a été replié sur le camp d’Alac [?] et c’est là que j’ai été libéré. Le camp mère était Dachau et il y avait des ramifications.

Maurice Luya : En général ça se passait toujours comme ça tu étais affecté dans un camp Marcel c’était Dachau, moi Buchenwald, tu partais dans ce que qu’on appelle un kommando de travail où tu restais au camp mère et qui allait travailler dans des usines à l’extérieur du camp mais beaucoup, la majorité, était transféré dans les sous camp où ils allaient travailler dans des kommandos de travail.

Moi j’étais à Buchenwald, ensuite je suis allé dans un petit commando qui s’appelle Rottleberode une usine souterraine, je suis resté là tout le temps sauf au mois d’avril où on a évacué où on a fait les marches de la mort. Ya quelques camarades qui ont fait plusieurs camp, il y a eu des Français qui ont été envoyé à Auschwitz pour des raisons qu’on ignore qui ont été immatriculé à Auschwitz et après ont été renvoyé à Buchenwald, si bien que tu as des Français, des gens qui ont été arrêté pour résistance qui sont tatoués, à Auschwitz ils les tatouaient sur le bras. Tu en a quelques-uns ce qu’on appelle les 45 000 maintenant ils sont plus nombreux. En principe tu t’es dirigé dans un camp et rarement il arrivait que tu changes de camp mais c’est arrivé. Par exemple nous à Rottleberode on dépendait du camp de Buchenwald mais sur la fin on dépendait plus du camp de Buchenwald on dépendait de Dora parce que Dora qui était un gros Kommando était devenu un camp principal donc on dépendait de Dora. Dora je suis jamais allé jamais allé.

Quand vous arrivez au camp une des premières chose qu’on vous fait on vous supprime votre nom, vous avez plus de nom vous êtes un numéro, on vous affecte un numéro qui est différent suivant les camps etc mais ce numéro vous le gardez jusqu’au bout.

00:22:27 : Avez-vous fait les marches de la mort ?

Maurice Luya : Les marches de la mort c’est un peu particulier c’est pas tout le monde qui les a fait on sait pas trop pourquoi c’est très nébuleux, parce qu’il y a des camps qui n’ont pas été évacués, pourquoi ? Parce que le chef de camp n’a pas reçu l’ordre… Il y a beaucoup de gens qui ont fait les marches de la mort qui ont été évacués, il faut bien expliquer c’est que en Allemagne c’est un pays assez vaste, et d’un côté y’avait les Russes, d’un côté les Américains, les anglais, les français. Ils rentraient en Allemagne et ils compressaient l’armée allemande. Au fur à mesure que les Soviétiques arrivaient près d’un camp le chef de camp avait l’ordre d’évacuer les gens qui étaient à Auschwitz, ils sont partis d’Auschwitz en février 45, c’est ces évacuations là qu’on appelle les marches de la mort. Pourquoi on les appelle les marches de la mort ? pour la simple et bonne raison c’est que les SS qui nous commandaient avaient l’ordre de laisser aucun survivant derrière les marches, c’est-à-dire on marchait, moi j’ai marché pendant 20 et quelques jours, à un moment donné vous pouvez plus parce que vous êtes fatigués, vous étiez mal nourris, faible ect, vous tombez sur le bord de la route, le SS arrivait et vous tirez une balle dans la tête. Il avait l’ordre de laisser aucun survivant derrière la colonne c’est pour ça qu’on appelle les marches de la mort c’est marcher ou mourir en vérité c’est l’évacuation des camps.

00:24:28 : Au cours de votre tentative d’évasion combien de fois avez-vous été attrapé ?

Maurice Luya : Dans les camps de concentration c’est pratiquement impossible de s’évader. Pourquoi ? parce que tous les camps de concentration sont entourés de barbelé de 2 mètres de haut très serré dans lesquels il y a un courant de haute tension qui passe dedans, si on touchait les fils vous êtes morts électrocuté. Donc de l’intérieur du camp pratiquement c’est impossible de s’évader. Ya quelques gars qui se sont évadés mais en dehors du camp, dans les usines ect mais c’est très difficile parce que d’abord vous êtes habillés en bagnard et se promener en Allemagne à cette époque-là avec un costume de bagnard c’était pas bien recommandé, vous avez les cheveux coupés à double zéro c’était pas la mode à cette époque, si c’est un peu maintenant, à cette époque-là c’était pas la mode donc c’était reconnaissable un gars qui avait pas de cheveux sur la tête on disait c’est un évadé du camp. La police allemande nous arrêtait assez rapidement, j’ai un copain du camp de Rottleberode qui s’est évadé, il avait l’avantage sur moi, c’est qui parlait parfaitement allemand. Il s’est débrouillé pour avoir un costume civil, il est resté 1 jours dehors et puis il a été arrêté. C’était tellement cloisonné à cette époque-là, dans les petits pays même les gens qui avaient 60-65 ans étaient mobilisés pour la police intérieure, c’était ce qu’on appelle les faux-jetons. La police du peuple et chaque fois qu’ils voyaient un étranger il l’arrêtait et contrôlait donc pas de papier. C’était très difficile de s’évader. Moi je me suis évadé mais c’était à la fin, à l’extérieur du camp, c’était pendant les marches de la mort, et à la fin les conditions étaient un peu différentes même les civils allemands commençaient à en avoir jusque-là ! C’était moins surveillé, c’était la fin de la guerre.

00:27:37 : Y avait-il des SS contre Hitler?

Maurice Luya : En 33 quand Hitler est venu au pouvoir qu’est-ce qu’il a fait ? Il y avait des gens qui n’était pas pour lui, il a créé les premiers camps, Dachau c’était le premier camp, 2 mois après la prise de pouvoir d’Hitler le camp de Dachau a commencé à vivre et qui est-ce qui a été enfermé dans ces camps-là ? c’est pas nous c’est les Allemands, c’est les Allemands qui étaient contre Hitler. Les gens qui auraient pu faire une révolte contre Hitler ils ont tous été enfermé dans les camps. A cette époque-là, dans les camps c’était vachement plus dur, c’était encore plus dur que de notre temps à nous parce que c’était rien que des allemands et ils les menaient très durement si bien que en définitive contre Hitler y en avait mais ils étaient enfermés et à l’extérieur y’en avait quelques-uns mais c’était très marginal. Y’avait des antifascistes allemands.

Marcel Roche : Il fallait s’organiser c’était pas facile.

Maurice Luya : C’était pas facile parce que les responsables qui étaient tenu à l’organisation, ils étaient enfermés.

00:29:43 : Avez-vous des membres de votre famille qui ont connu la guerre ?

Marcel Roche : Ils ont vécu la guerre oui, mon père était dans la Résistance également ils ont pas été arrêté, mes frères et sœurs étaient trop jeunes, ils ont vécu cette période de restriction, du couvre-feu etc.

Maurice Luya : Tous les gens de notre âge ont vécu pendant la guerre, plus ou moins bien, avec difficulté.

Marcel Roche : Il faut savoir que du jour où la centrale d’Esse autour du 19 février 1944, à partir de cette date, mes parents ne savaient pas où j’étais, on a pu écrit, donc ma famille, y’avait pas de nouvelles, ils se doutaient sûrement qu’on était parti en Allemagne mais c’est tout. Parce que quand on est arrivé en Allemagne on nous a pas donné un porte-plume une feuille pour dire voilà votre adresse ! Ils sont restés presque une année à savoir ce que j’étais devenu, c’était à la Libération, au mois de mai 45, qu’on a pu contacter nos familles pour dire on est encore là. Mais jusque-là c’était noir et on savait pas où on était. On était porté disparu.

00:32:00 : Est ce que vous avez déjà vu Hitler ou de Gaulle ?

Maurice Luya : En image oui. Hitler, il se baladait pas dans les camps de concentration. J’ai vu, Himmler était le chef de la SS et lui, il se baladait dans les camps de concentration mais Hitler jamais, De Gaulle je l’ai vu aussi en images mais j’ai pas eu l’occasion de le voir. C’est des personnages qui sont un peu pour nous disons qui sommes un peu la base, les personnages qui sont un peu trop haut pour nous c’est comme il a beaucoup de gens qui posent la question connaissez-vous Jean Moulin ? Je sais pas si vous savez qui est Jean Moulin c’était le responsable de la résistance d’une façon générale.

Marcel Roche : On a simplement entendu parler d’eux, dans leur déclaration..

00:34:24 : Bonjour et merci d’être venu je vais vous poser des questions. Que pensez-vous si ça recommençait ?

Maurice Luya : Malheureusement c’est toujours une possibilité, d’une autre façon, mais ça peut de nouveau pour des raisons quelconques éclater, je pense que personne n’aurait prévu, quoique si c’était prévisible, c’était difficile de prévoir ce qui allait se passer en 39 mais ça peut arriver bien sûr. Je pense que c’est un peu une raison pour laquelle on discute avec vous, on espère que ce que l’on vous dit fera son chemin dans vos esprits et que vous aussi quand vous serez un peu plus grand vous participerez à la meilleure façon, c’est-à-dire à essayer de lutter pour conserver la paix, c’est un peu pour ça qu’on discute. On n’est pas là pour vous raconter des histoires d’anciens combattants si on vous raconte ça c’est dans un but bien précis c’est pour attirer votre attention sur la guerre qui est un truc vachement néfaste et qui faut absolument s’en préserver et que nous on a fini notre temps on arrive à un âge, on a pas l’avenir devant nous, mais vous, vous avez l’avenir devant vous, et c’est ça qui est intéressant et l’avenir c’est vous, c’est vous qui allez faire la vie de demain et c’est dans la mesure où vous allez vous battre pour la paix, pour la démocratie etc., que vous aurez réussi votre vie.

00:36:34 : Est-ce que nous plus tard quand on sera grand nous devons toujours en parler pour laisser une trace ?

Maurice Luya : Laisser une trace c’est important, mais l’important c’est de faire quelque chose dans la vie. C’est de se battre pour quelque chose donc si vous voulez, moi ce que je vous souhaite c’est que vous arrivez à avoir une idée bien précise de tout ça et que quand vous serez plus grands vous vous battrez pour vos idées. On doit avoir des idées dans la vie, on doit avoir des grands principes : la liberté, la démocratie etc et c’est intéressant de se battre pour ses grandes idées.

Marcel Roche : C’est le résumé de la liberté ça.

00:37:37 : Aimez-vous en parler aux enfants ?

Marcel Roche : Oui bien sûr mais j’aurais préféré ne pas en parler parce que ce que j’avais vécu c’était pas tellement florissant. Et ce que je retiens surtout dans toute cette période c’est la solidarité qui s’est développée à l’intérieur des prisons et dans les camps de concentration parce que il fallait ne jamais se trouver isolé dans son coin il fallait toujours qu’il y ait un camarade à vos côtés pour vous soulever au moment où vous alliez vous effondrer, ça c’est de la solidarité. Et partant de là quand je vois vous les gamins avec les figures plus ou moins bariolées à droite à gauche, je suis heureux parce que c’est une forme de solidarité et c’est une forme de fraternité et je me suis battu pour ça et je voudrais que l’on puisse continuer dans cet élan parce que c’est la seule chose d’arriver à quelque chose. Sinon on arrive à rien, il faut s’unir pour faire des réalisations parce que si on est là aujourd’hui faut pas oublier que c’est pas un miracle parce que comme je dis toujours il y a toujours quelqu’un à côté qui vous soulève au moment où vous vous effondrez sinon vous restez par terre et ça faut pas l’oublier. Alors réfléchissez beaucoup.

00:39:28 : Pensez-vous si la guerre éclatait encore il y aurait des résistants ?

Maurice Luya : Je suis un peu près persuadé que s’il y avait un nouveau une guerre il y aurait toujours des gens qui essaieraient de résister ça c’est sûr c’est presque une obligation. Les gens ont des idées il y a beaucoup de gens qui risquent leur vie pour défendre leurs idées donc il y aura toujours des résistants ça c’est sûr. Ce qui me paraît le plus important c’est que on fasse de la Résistance avant que ça arrive, pour empêcher que ça arrive, c’est ça qui est difficile. Parce que on se heurte à un certain nombre de choses que l’on ne maîtrise pas. Les gens qui avant la guerre de 40, se battaient pour pas qu’il y ait la guerre il y en avait mais si vous voulez ils se sont heurtés à des forces qui ont été supérieur parce que ils ont en définitive il y avait pas suffisamment d’unité, je crois que solidarité, unités c’est des grands mots qui ont vraiment leur importance.

00:41:26 : Ils ont quel âge maintenant vos enfants ?

Maurice Luya : Nos enfants ils sont très grands, moi j’ai des enfants qui ont 60 ans.

00:42:00 : Est-ce que vous avez déjà été blessé ?

Maurice Luya : Ça dépend ce que tu appelles blessé, une balle un truc comme ça non, mais blessé moralement, oui et physiquement aussi tu vis pas dans les conditions telles que les camps de concentration sans subir un certain nombre de blessures, blessures intérieures.

Marcel Roche : On n’était pas armé.

Maurice Luya : Quand j’étais déporté, je faisais du sport, beaucoup de sport, je faisais 80 kg, quand je suis revenu d’Allemagne j’en faisais plus que 37 tu vois un peu la différence, il est sûr que cette perte de poids très importante, les coups qu’on a reçu etc ça laisse des traces et je me trouve encore pas trop malheureux, physiquement j’ai bien résisté, moralement et physiquement tu as des blessures.

00:43:26 : Est-ce que vous savez pourquoi il y a eu la guerre ?

Maurice Luya : Chacun peut avoir une opinion sur la guerre moi j’en ai une profonde je vais te la donner même si tout le monde la partage pas je pense que la guerre c’est toujours une histoire d’argent, je m’explique. Il y a des gens qui ont une puissance d »argent et qui veulent en avoir beaucoup plus et qu’est-ce qu’ils font ? ils font la guerre aux voisins. Hitler quand il a fait la guerre quel était son objectif ? c’était l’expansion, il voulait prendre une partie de l’Europe, il voulait s’agrandir et pour s’agrandir il a fait la guerre alors c’est une histoire de fric. Avec l’argent, la politique qui s’en mêle etc. Mais dans le fond, pour moi, la guerre c’est une question d’argent. Le voisin a un joli jardin bien préparé et tu veux lui piquer ses légumes, tu lui fais la guerre pour lui piquer ses légumes.

00:45:19 : Comment vous vous êtes échappés de la prison ?

Marcel Roche : On s’est pas échappé de la prison, on a failli s’échapper de la prison mais on avait pas les armes nécessaires pour aller jusqu’au bout, tu sors pas d’une prison comme ça par la porte, ya une porte blindée il faut qu’elle s’ouvre, il y a des murs de 3m il faut savoir aussi qu’à cette époque il y avait des restrictions et qu’on mangeait pas à notre faim, on avait 300 g de pain, on avait 500 g de viande par semaine, c’était vraiment les restrictions.

00:46:48 : combien de temps vous avez subi la guerre ?

Maurice Luya : La guerre en France a duré 5 ans. Puisqu’elle a commencé en 39, elle s’est arrêtée en 40 et elle a repris sous une autre forme jusqu’en 45. Elle a duré 6 ans.

00:48:06 : Quel âge avez-vous ?

Marcel Roche : 88 ans.

Maurice Luya : Et moi 86.

Marcel Roche : On est des petits vieux.

00:48:58 : Comment vous avez fait pour aller en prison ?

Maurice Luya : Tu fais quelque chose qui plaît pas au gouvernement actuel, demain tu as les gendarmes qui viennent et qui te passent les menottes et qui t’amènent en prison, rentrer en prison c’est tout ce qui a de plus facile, pour en sortir c’est difficile. Il y a des lois, bonnes ou mauvaises, qui existent mais si tu respectes pas les lois tu risques d’aller en prison.

00:49:50 : Comment avez-vous survécu aux marches de la mort ?

Maurice Luya : C’est une question de chance d’une part et d’autre part une question de résistance et un tas de trucs. Comme je dis toujours, pour résister dans les conditions très difficiles comme les camps de concentration il faut avoir de la chance, il faut surtout avoir dans la tête des idées, tu te bats facilement quand tu as une espérance dans la vie. Tous les deux on partageait les même visions de l’avenir qui nous permettait de tenir le coup de dire à un moment donné je me bats il faut que je continue à me battre je pense ça j’ai telle idée dans la vie, dans la vie l’essentiel c’est d’avoir quelque chose dans la tête et avoir des idées, penser à quelque chose, avoir envie de faire quelque chose et de se battre pour ça.

Marcel Roche : C’est pas toujours facile. Il faut avoir quelque chose dans la tête. Il faut pas se laisser mener comme un troupeau de moutons.

Maurice Luya : Comme je dis parfois en plaisantant ceux qui ont le mieux tenu dans les camps sont ceux qui avaient quelque chose dans la tête, ceux qui croyaient en Dieu et ceux qui croyaient au petit père Staline. Il y avait une idée qui était communiste, la foi dans l’avenir, c’est cela qui se battaient, faut avoir des idées dans la vie si tu as pas d’idée tu passes à côté.

00:52:24 : Pendant les marches de la mort, est-ce qu’ils vous donnaient à manger et à boire ?

Maurice Luya : Pendant les marches de la mort on a mangé quelquefois, pas souvent, bien souvent très mal, j’ai toujours une image, il y avait un endroit c’est une forêt ça s’appelle toujours le bois de Belleau on était parqué dans ce bois là et un jour est arrivé des camions de la Croix-Rouge qui distribuent des colis parce qu’on avait pas mangé depuis quelques temps. Seulement la distribution était tellement mal faite qu’il y a les trois quarts des gens qui ont rien mangé du tout. Ils nous faisaient mettre 10 en rang, n’importe qui n’importe comment et puis ils jetaient un colis. Dans les 10 il y avait des gars qui étaient plus Malabar que d’autres et c’était eux qui mangeaient le colis et les autres ils avaient rien. On a très mal mangé. Par contre on a mangé tout ce qu’on trouvait sur les routes parce qu’on avait faim on mangeait de l’herbe, on mangeait des épluchures qu’on trouvait, on trouvait des betteraves, tout ce qu’on trouvait sur la route on le mangeait, il fallait pas être délicat, boire c’était pas un problème, c’était au mois d’avril 45, malheureusement pour nous ce mois d’avril il a plut pendant tout le mois donc boire on n’avait pas tellement soif.

00:54:50 : Qui a déclaré la guerre à qui ?

Maurice Luya : La guerre s’est déclarée de la façon suivante, ya eu un traité à Munich où soit disant il y avait plus de guerre, Hitler avait des revendications territoriales, il a commencé à prendre un morceau de la Tchécoslovaquie personne n’a rien dit et puis ensuite il envahit la Pologne, il est rentré en Pologne. De ce fait là il y avait un traité entre l’Angleterre, la France et la Pologne donc la France et l’Angleterre ont déclaré la guerre à Hitler. Hitler a dit vous voulez faire la guerre et ben on va faire la guerre parce qu’il a envahi la Pologne.

00:57:00 : Est-ce que vous avez parcouru un même chemin tous les deux pendant la guerre ?

Marcel Roche : On s’est connu parce que Maurice est venu à Vaulx-en-Velin sinon je l’aurais jamais connu.

Maurice Luya : J’habitais Grenoble à cette époque-là.

Marcel Roche : On serait peut-être passer à côté l’un de l’autre…

Nathalie Tourtellier : On a l’impression que c’est deux compagnons de route ils ont vécu des choses identiques mais séparément.

00:57:55 : Avez-vous connu le marché noir ?

Marcel Roche : Je sais qu’il existait.

Maurice Luya : Bien sûr moi je l’ai connu en 42 même au début 43 il y a beaucoup de gens qui allait à la campagne parce que c’est pas avec les rations que donnait le gouvernement de l’époque qu’on pouvait manger.

Marcel Roche : Mais là il fallait avoir des connaissances, il fallait sortir de Lyon pour aller se ravitailler.

Maurice Luya : Les malheureux étaient ceux qui étaient dans les villes à part les jardins qu’on pouvait avoir y’avait pas grande possibilité de se ravitailler. Il fallait avoir beaucoup d’argent, l’argent c’est le nerf de la guerre c’était aussi le nerf de la nourriture à cette époque-là celui qui avait de l’argent il crevait pas de faim.

00:59:30 : Où est-ce que vous avez fait la guerre ?

Marcel Roche : On n’a pas fait la guerre, on a été dans la semi-clandestinité parce que la résistance c’était pas ouvert à tout le monde, on était des clandestins, ce qu’on faisait c’était des clandestinités.

Maurice Luya : La guerre a commencé en 39 elle a fini en 40 après c’était plus de la guerre, après c’était de la Résistance c’était pas une guerre ouverte c’était une guerre clandestine jusqu’en 45 où les troupes sont rentrées en France.

01:01:15 : Est-ce que vous étiez des jeunes heureux avant la guerre ?

Maurice Luya : Tu sais avant la guerre moi j’allais à l’école, moi je me sentais très bien à l’école, j’avais mes copains tout allait bien y’avait mes parents, ma famille on n’était pas malheureux. C’était pas la même vie que maintenant parce que les conditions étaient différentes. J’étais très heureux.

Cassette 3

00:00:00 : Avant est-ce que vous avez mangé la même chose que maintenant ?

Maurice Luya : Non c’est certain que la nourriture était très différente de l’époque de maintenant. Les plats étaient moins sophistiqués. Ya des trucs que vous mangez qu’à cette époque là on mangeait pas. A cette époque-là je me rappelle pas avoir mangé du poisson, c’est presque une nourriture qu’on peut manger tous les jours. A cette époque-là je me rappelle pas en avoir mangé, ça existait puisque que mon père allait à la pêche c’était pas un grand pêcheur, il ramenait de temps en temps une truite etc.

00:01:15 : Quand la guerre était finie vous habitiez où après ?

Marcel Roche : Moi j’habitais dans le 3e arrondissement à Lyon, je me suis marié en 47 toujours dans le même quartier, je suis venu à Vaulx-en-Velin par accident. Depuis 73 je suis à Vaulx-en-Velin. J’espère bien finir mes jours à Vaulx-en-Velin parce que je m’y trouve très bien.

Maurice Luya : Moi j’vivais à Grenoble à cette époque-là, j’ai vécu à Grenoble assez longtemps jusqu’en 70, j’ai eu un certain nombre d’aventure je suis parti travailler au Mexique, en Espagne, j’ai bourlingué pas mal et puis je suis venu dans la Loire et dans la Loire je suis arrivé ici, maintenant j’habite dans l’Isère. Je suis un grand voyageur.

00:02:30 : À quel âge vous avez arrêté l’école ?

Marcel Roche : J’ai arrêté l’école à 14 ans, après je suis parti au boulot. Je suis rentré dans l’imprimerie en février 1937. Quand je suis revenu d’Allemagne je suis retourné dans l’imprimerie et puis j’ai débarqué à Vaulx-en-Velin comme ça par hasard et j’y suis resté.

Maurice Luya : Moi j’ai arrêté l’école à 16 ans. J’étais dans un lycée professionnel à Grenoble qui s’appelle l’école Vaucanson, j’ai passé là-bas mon CAP, le brevet industriel, à cette époque-là le bac n’existait pas, il existait le brevet industriel, ma destination c’était de faire d’autres écoles encore après et puis comme il y avait la guerre, les écoles suspendues il a fallu aller travailler. En 40 je suis allé au boulot.

00:07:28 : Marcel Roche : Ça a été une épopée vraiment formidable. C’est formidable parce que à l’intérieur de cette prison on était maître de la prison si bien qu’on aurait dû pouvoir s’échapper non pas pour rentrer chez soi mais pour reprendre les maquis qui étaient aux alentours. La malchance a voulu que au moment d’ouvrir la porte blindée, qui donne voie sur la liberté une corvée de droit commun arrive avec un gardien et quand ils ont vu des gendarmes ils ont fermé la porte tout de suite, ils ont donné l’alerte et à ce moment-là le jeune qui avait la mitraillette à la main, la mitraillette s’est enrayée et il a pas pu tirer. A partir de là, on a continué à se battre jusqu’à presque la fin parce que la dernière tentative, la dernière chance, l’opération de la dernière chance a été faite sous la direction de Louis Aulagne qui était chef de groupe, qui était d’ailleurs mon chef de groupe et c’est en rampant sous une paillasse pour atteindre le mirador qu’une grenade a été jeté et qui a roulé sur la paillasse et ça l’a à moitié éventré à partir de là c’était déjà à moitié fini… j’ai encore le cri d’Aulagne quand il l’a poussé son cri, on l’a transporté à l’infirmerie, ils ont rien pu faire, fallait l’amputer, ça s’est terminé comme ça.

On était maîtres de la prison, il y avait des armes qui était rentrées avec la complicité de gardien patriote et dans cette centrale chacun avait sa tâche à remplir et celui qui recevait pas de colis il mangeait la même chose que celui qui recevait des colis, il recevait son colis il le donnait à la solidarité et la solidarité le redistribuer dans la prison ça c’était fantastique. C’était une épreuve pour celui qui recevait peut-être son colis mais la joie d’avoir pu ravitailler tout le monde c’était quelque chose de fantastique. Cet esprit d’Esse, il a été poursuivi dans les trains, et ça nous a suivi jusque dans les camps de concentration. J’ai une chance c’est que tout le temps de ma déportation j’ai toujours eu un ou deux camarades qui avait été à Esse c’est pour ça que je dis des fois j’ai une déportation privilégiée parce que j’avais des camarades à côté de moi et c’est grâce à ça que je suis là. Cette prison c’était vraiment quelque chose de sensationnel. C’est d’abord l’utilisation des compétences. Le professeur il enseignait, le cuisinier faisait la popote, c’était réparti comme ça mais moi pauvre imprimeur que j’étais on m’avait collé la tâche de réaliser Le Journal du Préau c’était tout écrit à la main et j’avais un camarade qui faisait le titre et les dessins et moi j’écrivais comme un journal 2742. C’était bénéfique pour moi. J’ai encore la chance d’avoir des copains qui étaient avec moi dans mon groupe militaire qui était à Morestel et puis j’en ai un autre à Saint- Étienne.

C’est une chance d’avoir vécu cette période, surtout cette ambiance, ça nous a permis de résister jusqu’au bout parce qu’il y avait toujours cet esprit d’Esse qui ressort. C’était une école, bien sûr on peut pas dire qu’on est content d’avoir passé par là enfin on en retire quand même quelque chose mais ça vous forge pour l’avenir. Si on est là c’est pas par hasard c’est parce qu’on a été encadré il y en a de moins en moins.

Compléments biographiques

Maurice Luya a travaillé comme ingénieur en métallurgie en Espagne, puis au Creusot-Loire à Saint-Chamond. Il témoigne à partir de 1970, jusqu’en 2013.

Sources et compléments d'informations

  • Informations données par le témoin
Luya, Maurice
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