Cordier, Daniel

Daniel Cordier naît le 10/08/1920 à Bordeaux, Gironde, France (FR) - décès le 20/11/2020

Entrée en résistance :

Arrestation : Pas d'arrestation

Interventions

2013 / Cannes / chez Daniel Cordier

  • Date du témoignage : 12/03/2013.
  • Contexte : Daniel Cordier a répondu aux questions de Jean Sintès sur son parcours au sein de la Résistance, mais aussi sur le rapport de Jean Moulin à la peinture.
  • Source : AFMD du Rhône (publication le 08/03/2023)
  • Date d'ajout à la base : 06/03/2023
Afficher la transcription Masquer la transcription

Ceci est la transcription brute de l’entretien avec Daniel Cordier, sans coupe, sans montage.

Partie 1

00:02:37 : Avant votre rencontre avec Jean Moulin, vous intéressiez-vous à la peinture ?

Pas du tout. Quand j’ai connu Jean Moulin, j’avais 21 ans. Mais il y avait déjà 2 ans que j’avais quitté la France. Mon père s’intéressait à la musique. Il avait une collection de disques effrayantes et j’écoutais tous ses disques d’opéra parce qu’il chantait et pendant mon enfance jusqu’à mon départ il m’a emmené à bordeaux, où nous avons un théâtre très joli et j’ai vu beaucoup d’opéra, d’opéra comique, de chant de musique, et alors à la maison il y avait un phonographe et j’écoutais la musique j’écoutais les airs que j’aimais. J’avais une certaine connaissance de la musique et moi-même j’avais fait du piano, de la musique et surtout du chant, et j’ai continué toute ma vie.

00:04:12 : Dans quelles conditions parliez-vous de peinture avec Jean Moulin ?

Pratiquement, c’est dès le premier jour. Jean Moulin voyait tous les gens qui arrivaient de Londres j’étais le 4e. Quand nous arrivions en France, ce qui nous commandait ils étaient à Londres mais ce n’était plus eux qui nous commandaient c’était Jean Moulin, si ça allait mal, si on faisait des bêtises, si on travaillait mal c’est lui qui nous réprimandait et c’est lui qui nous renvoyait si ça ne marchait pas du tout. La première personne que l’on voyait c’était lui et après on allait rejoindre la personne avec qui on travaillait. Je l’ai vu l’après-midi, dans un salon, il avait toute sa correspondance et tout ça et il m’a dit c’est assez amusant, il m’a dit si vous êtes libre à dîner ce soir je venais d’arriver de Londres, avec qui voulait-il que je dîne ? vous viendrez il m’a dit le nom de restaurant et vous regarderez sur le plan c’est près de l’opéra et à 7h nous avons dîné ensemble dans un tout petit bistrot et alors il m’a fait raconter ma vie j’avais pas grand-chose à lui dire mais il y avait une chose, ma vie de jeune homme, à partir de 14-15 ans c’était la politique d’extrême droite, de l’action française et comme j’avais l’impression que ça l’intéressait, il m’écoutait, il disait rien, il avait commencé à manger, il me regardait parfois en souriant et à mesure que je parlais je prenais plus d’autorité, d’assurance parce que c’était un sujet qui me passionnait et je n’avais jamais raconté ça à personne à 20 ans on raconte pas sa vie et il m’a dit : en vous écoutant je me rends compte que j’ai eu la chance d’avoir un père et alors il m’a parlé un petit peu de son père pour lequel il avait une très très grande admiration, c’était un professeur qui était à Montpellier et qui dans la politique s’était installé au Conseil Général il menait une politique très active, il était franc-maçon aussi, le nom de moulin c’était Rex, l’année où je travaillais avec lui c’était Rex c’était le nom de code pour Londres et alors je me disais au fond ça doit être quelqu’un d’assez connu et son fils qui était très élégant qui avait de l’allure, il était très gentil mais il y avait deux personnages ça c’était le personnage après le travail mais le personnage dans le travail était implacable il fallait que tout soit exécuté, que tout le courrier soit répondu, que tous les documents soient lus, soient analysés on le mettait de côté pour le lendemain etc voilà ma vie pendant ces 10 mois avec Jean Moulin. Et parmi les choses qu’il m’a dite pour m’avertir de ce qui allait se passer entre nous, il m’a dit : ma fosse identité est celle d’un peintre et par conséquent ne vous étonnez pas si dans la rue, au restaurant ou n’importe où, brusquement j’arrête la conversation et je vous parle de peinture parce que ça voudra dire que j’ai l’impression que nous sommes écoutés ou en danger. Je n’ai pas fait tellement attention à ça. Très rapidement je me suis rendu compte que, je ne sais pas si c’est les hasards de la clandestinité, mais que quand il parlait de ça il était très heureux et alors au fil des mois ça a duré un an il me parlait de tout ce que j’ignorais mais absolument de Cézanne, de Picasso, ou Poussin, Piero della Francesca, j’écoutais je n’avais rien d’autre à faire que d’écouter c’était intéressant mais c’était pas mon travail moi je pensais à mes prochains rendez-vous, je pensais à tout ce que j’avais à faire au télégramme que j’allais envoyer, au rapport que j’avais à coder etc petit à petit il y avait Picasso, Delacroix qui l’aimait beaucoup, David, Piero della Francesca c’était quelques noms comme ça qui revenait ça ne me disait rien du tout.

00:14:10 : Est-ce que Jean Moulin s’enthousiasmait sur une série de peintre est-ce qu’il y avait des peintres comme on dit aujourd’hui qui le branchaient beaucoup où il avait beaucoup d’admiration pour des peintres ?

C’est le soir du Conseil de la Résistance et il a dit pour fêter ça, il m’a donné rendez-vous dans une galerie à 7h du soir, la séance avait eu lieu de 14h à 16h et il m’a dit nous allons fêter ça et il m’a amené dans un très très bon restaurant. Il m’a emmené à Montmartre et ce soir-là il m’a parlé de sa collection, il m’a parlé de livre de tel ouvrage, de telle personne, il emportait des petits livres on était dans le métro à des endroits où tout le monde pouvait nous entendre et pour lui c’était un sujet de conversation où tout le monde pouvait écouter. Ce soir là il m’a parlé de sa collection parce que il était m’a t’il dit je suis allé dans ma réserve et j’ai revu quelques tableaux de ma collection, il était précis parce qu’il avait envie de parler de ça, il avait un Chirico, il avait une sanguine de Renoir un nu, ça coûte un peu cher m’a t-il dit mais c’est tellement extraordinaire que j’ai pas hésité à l’acheter c’était ça la soirée c’était une soirée de confidences sur sa collection, sur les peintres qu’il aimait alors il y avait Picasso il avait quelques dessins, il n’avait pas beaucoup de moyens vous comprenez il n’avait pas une grande collection.

00:19:45 : Est-il vrai que Jean Moulin était en train d’écrire deux biographies dans cette période là, une sur Pierre Bonnard et une sur Henri Matisse ?

Je sais pas.

00:20:02 : Est-ce qu’il vous parlait de sa galerie à Nice ?

Je savais qu’il était à Nice, y’avait quelque chose avec une galerie de tableau à Nice…c’est tout ce que je savais. Vous savez on disait le moins de choses possible.

00:20:44 : Dans votre livre vous dites que quand vous découvrez la carte d’identité de Jean Moulin Jacques Martel artiste peintre décorateur, vous lui demandez mais ça fait pas sérieux quelle réponse il vous fait ?

Quand je lui ai trouvé sa chambre qui était au-dessus du pont Morand à Lyon ça lui plaisait beaucoup il y avait une très jolie vue on voyait le Rhône on voyait les petites collines au-dessus alors il a sorti sa carte d’identité il m’a dit allez à la mairie pour m’inscrire voilà mes cartes pour les tickets d’alimentation et déposer les également, j’ai vu qu’il était peintre mais il m’avait dit, j’avais pas très bien compris que c’était sur sa carte d’identité quels sont les identités c’était ça je le dis mais pardonnez-moi est-ce que c’est très sérieux d’être artiste peintre ? il m’a dit oui ne vous inquiétez pas c’est quelque chose qui est reconnu et qui est très fantaisiste mais ça plaît aux gens il y a pas de problème. Je pensais qu’il aurait pu être autre chose, commerce, industriel, vous savez quand on appartient pas à un milieu on a des caricatures…

00:24:55 : Est-ce que Jean Moulin avait aussi un intérêt pour la poésie, le théâtre, le cinéma ? est-ce qu’il vous parlait aussi de ces arts ?

Il me parlait de la poésie. Un jour nous sommes allés déjeuner et la rue que nous avons emprunté c’était la rue dans laquelle j’habitais et il ne savait pas, il ne savait pas mon nom d’emprunt, ma fausse identité, moins on n’en savait moins on pouvait en dire, je ne savais rien sur lui il ne savait rien sur moi non plus et j’ai hésité et puis quand nous sommes passés devant l’immeuble où j’habitais je lui ai dit vous savez j’ai loué une chambre dans cet immeuble et brusquement il m’a dit est-ce que pouvez me la montrer mais j’ai là j’ai eu le cœur battant parce que j’ai dit quel est le bordel que j’ai laissé. Pour une autre raison qui était une raison de sécurité, je ne partais de ma chambre que lorsque tout était en ordre, tout, je pensais que si y’avait quelqu’un qui était rentré, la police était rentrée dans ma chambre je m’en serai tout de suite aperçu. J’habitais au deuxième, c’était une toute petite chambre mais elle avait un avantage c’était qu’elle était séparée de l’appartement il y avait le palier entre cette chambre et l’appartement de mes propriétaires j’étais très isolé, à condition de ne pas parler trop fort, il me dit vous avez quelques livres je me suis dit il aime aussi les bouquins et il a regardé j’avais lu Les Décombres (de Lucien Rebatet) qui était le grand livre de cette époque quand je suis arrivé en France en août 1942 ça venait de paraître c’était un grand succès il a dit est-ce que c’est bien ? Est-ce que ça vous a plu ? j’étais très lyrique parce que ça m’avait beaucoup plu c’est tout à fait extraordinaire mais il m’a pas laissé le temps de lui dire qu’à la fin du livre c’était un féroce antisémite, il disait des monstruosités sur les juifs et que ça m’avait beaucoup choqué mais c’était la fin du livre tout le reste c’était l’histoire de l’Action française c’était mon enfance, ma jeunesse tout ça c’était mon milieu intellectuel et alors il a coupé parce que il a dit je vois que vous vous intéressez aussi à Valéry il y avait énormément de prose de Valéry, moi ce que j’aimais c’était Rimbaud, ça n’avait aucun rapport avec Valéry, il m’a récité un poème de Valéry et j’étais stupéfait parce que la manière dont il le disait il avait une très jolie voix il avait un timbre très beau c’était incroyable moi qui n’avais jamais lu un poème de Valéry, nous étions ensemble, complètement puis nous sommes partis déjeuner et le travail a repris.

00:32:20 : Considérait-il les artistes et la culture comme une nécessité, un moyen pour combattre le fascisme nazisme ?

Non pas du tout, il voulait être peintre, il voulait être artiste, il griffonnait sur les nappes de temps en temps des caricatures des choses comme ça, j’ai découvert après la guerre qu’effectivement il voulait être artiste il avait fait des expositions de caricatures il avait un sens du dessin qui était tout à fait remarquable, il avait commencé quand il avait 12-13 ans.

00:33:25 : Donc il est arrêté le 21 juin 43 à Nice, dans sa galerie, il expose du 3 juin au 30 juin les œuvres de Picasso, de Renoir et beaucoup d’autres avec des artistes qui étaient plus ou moins haïs par le système nazi est-ce qu’à votre avis il l’avait fait exprès ? avez-vous des informations là-dessus ?

Non je n’ai jamais su ce qu’il exposait dans sa galerie, je l’ai su par la dame qui travaillait dans la galerie qui était l’une de ses amie et ainsi de suite. Quand je l’avais rejoint dans cette galerie pour dîner le soir du Conseil de la Résistance, il parlait avec beaucoup d’animation avec le propriétaire, qui était un de ses amis d’avant guerre ça je ne le savais pas, il négociait pour avoir une exposition de lui il m’a dit regardez l’exposition vous me direz ce que vous en pensez après. C’était des aquarelles de Kandinsky c’était la première exposition que je voyais dans une galerie j’ai fait le tour et j’étais de plus en plus effrayé et quand j’ai eu fini il m’a dit alors qu’est-ce que vous en pensez ? c’était très difficile parce que je me disais si je lui dit c’est dégueulasse il va me mettre à la porte mais si je lui dit que j’aime ça je vais mentir alors je n’ai rien dit, il me dit ne vous inquiétez pas je vous expliquerai et il m’a expliqué. On est sorti de la galerie pour aller dîner et la galerie était dans l’île de la cité, on est parti sur le quai il m’a dit j’ai pensé que pour fêter aujourd’hui, ça vous intéresserait. Alors c’était un grand livre, c’était un livre très très intéressant, c’est le premier livre qui commençait à Renoir, Cézanne, il était de 1938 le livre, il y avait Marcel Duchamp, Malevitch, il y avait beaucoup de reproductions pour chacun mais tout était en noir, j’avais jamais vu un livre de peinture avec des reproductions, il y avait des Picasso je ne disais rien devant lui c’était le patron. Il avait l’âge de mon père, il avait 43 ans et j’avais beaucoup d’admiration pour lui. Au jour le jour, je suivais cet homme petit à petit j’avais compris ce que c’était que la résistance ce qu’il faisait, ce qu’il essayait de faire on voyait qu’il avait un extraordinaire caractère pour organiser la résistance et en faire une armée.

Toutes les personnalités avec un certain caractère, il faut pas exagérer parce qu’ils ont tous été balayés à la libération, pendant la guerre au moment où ils ont créé ces mouvements ça n’intéressait personne c’est quelque chose que je rappelle toujours mais autour du Général de Gaulle, l’armée du Général de Gaulle pour le 14 juillet 1940 nous n’étions pas 3000, je faisais parti des 640 collégiens.

00:40:48 : Dans votre livre vous faites référence à votre rencontre avec Stéphane Hessel, est-ce que pouvez nous expliquer cette première rencontre avec Stéphane Hessel ?

C’était un de mes amis. En février-mars 1941, à ce moment-là je suivais une… pour devenir un officier et ce camarade qui était arrivé de France il y a quelques mois me dit je vais te présenter un type qui vient d’arriver, il va te plaire c’est un type tout à fait extraordinaire. Il m’a amené par la baraque du camp où on mettait provisoirement tous les gens qui arrivaient de l’étranger de New-York, de France, de partout, on ne savait pas encore ce qu’on allait en faire on les apportait là pour les habiller pour les installer puis après on leur disait pour retourner à Londres dans tel service vous allez servir là à côté de cet officier ou ainsi de suite et alors je me souviendrai toujours il m’a emmené dans cette baraque du camp. Il y avait tous les gens qui déballaient il y en a qui arrivaient y’en a qui partaient il devait être 12h30 quelque chose comme ça et au fond de la pièce, les baraques avaient 2 sorties, y’en avait une par laquelle on rentrait toujours et l’autre était condamnée, et contre cette porte y’avait une caisse de munitions sur lequel il était assis et il était en train de lire et je m’approche de lui et je lui dis mais qu’est-ce que vous lisez ? je lis Paludes. C’était un des rares livres d’André Gide, qui était mon auteur favori, que je n’avais pas lu il m’a dit quand j’aurai fini je vous le passerai c’est pas un de ses meilleurs. Hessel avait un peu plus de 3 ans de plus que moi mais c’est énorme parce que cette époque je n’avais pas 20 ans et lui en avait 23, il était marié, il avait fait la guerre, les jeunes qui avaient fait la guerre par rapport à nous qui était collégiens nous on était en dessous mais il était très gentil, on a commencé à parler et puis notre ami nous a dit je vous emmène déjeuner…

00:45:30 : Es-ce que vous avez des informations sur sa vision du syndicat ?

Ce qui l’intéressait c’était les forces de la résistance, ce qui était important c’était le présent finalement il a commencé à s’intéresser aux syndicats c’était un peu la perspective du conseil de la résistance. Il avait cette idée dans ce Conseil de la Résistance de mettre toutes les forces qui en France luttaient pour la victoire, et représentaient la France et c’est ça la nouveauté de ce Conseil de la Résistance c’est-à-dire que finalement il n’y avait pas que les mouvements c’est pour ça qu’il a mis des représentants des mouvements, des représentants des anciens partis politique, il y avait 2 représentants des syndicats. Il a obtenu de faire le Conseil de la Résistance parce que lorsque Giraud s’est imposé en Afrique du Nord et que De Gaulle était toujours à Londres parce qu’il pouvait pas rentrer en Afrique du nord, ils en ont parlé, Moulin est allé à Londres en février 1943 et c’est Moulin qui a suggéré à De Gaulle de faire ce Conseil de la Résistance parce qu’il lui a dit mais il y a quand même quelque chose c’est que Giraud vous parle toujours d’au point de vue militaire il représente tout parce qu’il a l’armée française mais qu’est-ce que vous représentez ? vous représentez des volontaires mais par rapport à l’armée c’est très peu. Ce que vous avez et qu’il n’a pas c’est la résistance il faut que vous regroupiez la résistance il faut faire un Conseil de la Résistance de manière à ce que le Conseil de la Résistance se réunisse et vote la confiance en vous comme chef de la France, comme gouvernement de la France et là vous aurez l’autorité pour aller à Alger parce que vous êtes le représentant de l’ensemble de la France résistante. C’est intéressant parce que De Gaulle a tout de suite compris. Le rapport qu’il avait envoyé à Giraud il ne parlait pas du tout d’un Conseil de la Résistance, Moulin est arrivé juste après l’envoi de cette lettre alors il a fait réécrire une autre lettre à De Gaulle c’est pour ça que De Gaulle avait tout à fait confiance en lui.

00:49:48 : Après le Conseil National de la Résistance, je suppose que les choses se sont accélérées, quel était son état d’esprit lorsque quelques temps avant son arrestation à Caluire est-ce qu’il était inquiet pour sa propre personne, inquiet sur la poursuite du Conseil National de la Résistance est-ce qu’il avait dans son esprit qu’il fallait que le Conseil National de la Résistance ait un programme ?

Le programme du Conseil National de la Résistance, De Gaulle l’avait expédié à la demande de…j’ai oublié son nom… il y a un représentant de la Résistance, c’était Christian Pineau qui était allé à Londres et qui avant de rentrer en France a demandé au Général de Gaulle de faire un programme. Parce que Pineau qui représentait les travailleurs n’avait pas du tout confiance en De Gaulle, il pensait que c’était un dictateur parce que très rapidement et autour de De Gaulle, étant donné qu’il y avait personne à Londres et au fond qu’est-ce que c’était ce général qui n’était même pas général il était général à titre temporaire, la France libre c’était en grande partie la légion étrangère c’est-à-dire qu’il y avait 1000-1200 hommes, la légion étrangère qui arrivait de Norvège avec l’uniforme, une cuisine et les munitions et tout c’était le cœur de l’armée de De Gaulle et il y avait les 630 collégiens et avec quelques marins 700 marins c’était ça l’armée De Gaulle. Il y avait quelque chose qui était très intéressant les premières photos du Général De Gaulle sont les photos du 14 juillet quand il dépose à Londres une gerbe de fleurs au pied de la statue de Foch, et dans le fond vous avez les soldats qui lui présente les armes, ces soldats ce sont tous les soldats de la légion étrangère parce qu’ils ont un foulard blanc, un casque français alors que nous tous qui nous sommes engagés nous avons eu des casques anglais.

Partie 2

00:02:40 : Est-ce que ce programme pour vous a une grande importance dans la période pendant l’Occupation et après considérez-vous que ce programme du Conseil national de la Résistance a toujours un intérêt actuellement ?

Il faut que je sois honnête tout ça c’est très très loin, je n’ai plus ça dans la tête, est-ce que aujourd’hui ça aurait un intérêt ? je ne sais pas, je ne suis pas dans la politique, je la suis dans les journaux.

00:03:52 : Si vous aviez la possibilité de lancer un message à la jeunesse actuelle qu’est-ce que vous lui diriez par rapport à la Résistance ?

Le message il faut toujours se battre pour la liberté. Si on veux être libre c’est un combat qu’il faut gagner.

00:04:52 : Lors des interrogatoires musclés sur Jean Moulin de la part de Klaus Barbie il semblerait que Jean Moulin, alors que Klaus lui demandait des noms et des renseignements, il s’est mis à prendre une feuille et à dessiner Klaus Barbie, est-ce que c’est vrai ?

Je n’en sais rien, j’ai essayé de devenir un historien ce que je n’étais pas je me suis donné beaucoup de mal autour de la mission de Jean Moulin et de la vie de Jean Moulin mais tout ce qui concerne la Gestapo, les Allemands et tout ça vous ne pouvez pas faire l’histoire tant que les archives allemandes ne sont pas ouvertes, il faut quand même savoir que les archives allemandes ça devrait être très riche parce que les documents allemands de la Gestapo sont tirés à 52 exemplaires parce que en France ils sont tirés à un ou deux, 3 exemplaires. Sur les 52 exemplaires l’Allemagne a été rasé, il y a 52 endroits, places où vous avez un rapport de la Gestapo, ce qu’il faut comprendre, c’est que les soviétiques ont pris tout ce qu’ils ont pu trouver à mesure qu’ils avançaient ils ont trouvé beaucoup de choses, les américains ont raflé, mais tous ces rapports de guerre ne sont pas communicables, on en a même pas l’inventaire. Par exemple le siège de la Gestapo à Paris on a pris tout ce qui était là, tout ça est enfoui dans les abris aériens du château de Vincennes et c’est fermé à clé personne n’y a accès. Aux États-Unis quand ils publient des documents ce sont les documents qu’on a récrit parce qu’on utilise jamais les vrais noms de n’importe quoi donc ça devient incompréhensible, les rapports qui sont publiés c’est à peu près n’importe quoi. Donc je vous signale au point de vue rapport ça paraît incroyable 60 ans après, le rapport sur l’arrestation de Moulins sur 52, nous en possédons un ça vous permettra de comprendre, pourquoi ? c’était à Marseille et dans les archives de la Gestapo de Marseille il y avait ce document, il a tout de suite été envoyé, on l’a reçu il était en allemand il a fallu le traduire, c’est le seul document qui raconte toute l’histoire de l’arrestation de Moulin. C’est une telle masse évidemment tout ça est dispersé mais tout ça s’ouvrira. Et ce qu’il faut dire hélas, pour ceux qui sont curieux de l’histoire comme je l’ai été, à l’âge que j’ai je ne connaîtrais pas la vérité dans les rapports allemands parce que les archivistes attendent la mort des derniers hommes de cette époque-là donc il n’y aura plus personne. On ouvrira pas tout de suite il faut attendre 10 ans, 20 ans, en 2050 les historiens pourront probablement consulter à New York, à Londres, à Paris, à Moscou, à Berlin les archives de la Gestapo. Le livre qui sortira de ça dans les années 2080 ou 2100, ce sera enfin pour la première fois l’histoire véridique de ce qui s’est passé entre la Résistance et la Gestapo. La seule chose que j’ai toujours dite, à mon avis personnel, c’est l’ introduction dans le travail d’historien que j’ai fait c’est l’introduction d’une opinion tout à fait personnelle qui ne s’appuie sur rien, c’est Hardy qui a donné Jean Moulin mais ça je ne l’écrirai pas parce que je n’en sais rien pour savoir qui a donné Jean Moulin, comment Moulin a été arrêté, comment il s’est comporté vis-à-vis de la Gestapo ? il faut attendre l’ouverture des Archives allemandes parce que les Allemands sont des hommes qui font beaucoup beaucoup de rapport.

00:14:47 : Les archives ça appartient à un milieu, les archives ça finit toujours par appartenir aux archives, il faut attendre probablement une cinquantaine d’années, il y aura des historiens qui commenceront à travailler sur l’ensemble de ces archives qui leur donnera une vision de la Gestapo c’est-à-dire une vision de la réalité des gens qui ont été arrêté de ce qu’ils savaient après l’arrestation de Jean Moulin.

00:16:19 : Après l’arrestation de Jean Moulin, qu’est-ce que vous avez ressenti ? est-ce que vous avez pris je suppose des mesures de sécurité et après qu’est-ce que vous avez fait ? quelle a été votre profession après la guerre ?

A titre personnel, nous avons pris aucune mesure de sécurité, les quelques personnes qui avaient travaillé avec Moulin étaient sûres, absolument sûres, je suis jamais retourné dans l’endroit où il habitait parce que la Gestapo y est allé mais je ne le savais pas je l’ai appris après la guerre. Avec Jean Moulin tout était d’une très très grande prudence, il était très très très organisé quand il a été là où il a été arrêté en banlieue, Dugoujeon, il s’était fait faire une ordonnance pour consulter, il était très très prudent pratiquement le plus âgé parmi nous, nous étions des enfants, nous étions des très jeunes, vous savez quand on est jeune la prudence c’est pas quelque chose de naturel donc quand il y avait un événement quand on avait échappé à une arrestation on avait très très très peur pendant 1h, 2h et puis après on se conduisait comme des gamins.

00:18:45 : Après cette période-là est-ce que vous participiez à la Résistance, qu’est-ce que vous avez fait jusqu’à la Libération ?

Je suis resté au même poste, on avait reçu l’ordre de me renvoyer à Londres, je connaissais tout le monde je connaissais tout tout tout et c’est ça qui m’a fait très très peur parce que à la fin de l’année 1943 le chef de mes courriers qui était à Fresnes qui avait été arrêté, il a dit : il faut absolument qu’il fasse attention la Gestapo à ta photographie ! Après l’arrestation de ce garçon et de mon équipe dans le secrétariat etc. j’avais tout de suite commandé un nouveau jeu d’identité, je voulais une carte d’identité qui n’était que pour les gens qui m’hébergeaient, si on était hébergé par des résistants etc. quand j’ai reçu ça immédiatement, il disait qu’on lui avait montré ma photo, à l’instant où j’ai su ça, j’ai demandé de repartir pour Londres. Oui j’ai eu peur j’avais une pilule pour me suicider que j’avais de Londres et donc on avalait cette pilule en quelques secondes on était liquidé. Est-ce que j’aurai le courage de prendre cette pilule ? je n’en sais rien. Est-ce que je pourrais prendre encore cette pilule ? est-ce que j’aurai le courage d’être torturé sans parler ça j’en savais encore moins, j’ai eu peur de moi. Bingen qui était mon nouveau patron, a tout fait pour me garder. Quand je vois ce qui lui est arrivé je suis parti j’ai trahi et en même temps si j’avais été arrêté qu’est-ce que j’aurais dit ? Ce qui me faisait très peur c’est que je connaissais tout je connaissais toute l’organisation de la zone sud de la zone Nord tous les chefs de la Résistance je connaissais vraiment ça faisait plus d’un an et demi que j’étais là, j’avais des amis et j’ai eu très très peur et j’ai jamais regretté.

Compléments biographiques

Daniel Cordier est Résistant, marchand d’art et historien français. Après avoir été membre de la Fédération nationale des Camelots du roi, il s’engage dans la France libre dès juin 1940. Secrétaire de Jean Moulin en 1942-1943 — au contact de qui ses opinions évoluent vers la gauche —, il consacre à celui-ci une biographie en plusieurs volumes d’une grande portée historique. Après la guerre, il est marchand d’art, critique, collectionneur et organisateur d’expositions, avant de se consacrer à des travaux d’historien et de militer pour la cause homosexuelle. L’année de son décès, à l’âge de 100 ans, il est l’un des deux derniers compagnons de la Libération encore en vie.

Sources et compléments d'informations

Cordier, Daniel
Retour en haut