Hessel, Stéphane

Stéphane Hessel naît le 20/10/1917 à Berlin, Allemagne (DE) - décès le 27/02/2013

Entrée en résistance :

Arrestation : Arrestation pour faits de résistance le 10/07/1944 à Paris (Île-de-France), Paris - par la Gestapo

Déportation de répression en 1944 :

  • au camp de Buchenwald avec affectation au kommando de Rottleberode — matricule 10033
  • au camp de Dora (Nordausen-Dora) jusqu'au 04/04/1945 - évasion le 5 avril depuis le train le conduisant au camp de Bergen-Belsen — matricule 81626

Interventions

2010 / Villeurbanne / école primaire Anatole France

  • Date du témoignage : 15/03/2010.
  • Contexte : Témoignage dans une école primaire et réponses aux questions des élèves.
  • Source : AFMD du Rhône (publication le )
  • Date d'ajout à la base : 01/03/2023
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Ceci est la transcription brute de la vidéo du témoignage de Stéphane Hessel, sans coupe, sans montage.

00:00 : Arrivée de Stéphane Hessel à l’école Anatole France

00:41 : Dans la classe avec les élèves

00:41 : L’enseignante Nathalie Tourtellier salue Stéphane Hessel

01:52 : Stéphane raconte qu’il est arrivé en France à l’âge de 7 ans. Né à Berlin en Allemagne. Va à l’école communale, apprend le français, et les valeurs de la République [problème de son].

Stéphane Hessel :

03:15 : J’ai été pris par la police allemande, la Gestapo et j’ai été envoyé dans un camp de concentration (son qui se stabilise) 5 millions de juifs ont perdu la vie, massacre des tsiganes, aliénés.

03:48 : On a aussi mis dans ces camps des résistants, des gens qui avaient voulu se battre contre l’Occupation étrangère, je suis arrivé dans un de ces camps où j’ai passé 10 mois, j’ai réussi à me sauver, et en rentrant, C’est d’aller à New York où s’organisait l’Organisation des Nations Unies. 1Ère organisation mondiale que les sociétés modernes ont réussi à mettre sur pied et aujourd’hui encore 65 ans après sa création, la grande organisation avec une valeur.

04:47 : Cette valeur c’est les droits humains que chacun de nous possède, si vous êtes femmes ou hommes vous avez des droits, le droit de la libre parole, de la libre confession, le droit à la santé, le droit à l’éducation, le droit au logement.

05:13 : Tous ces droits c’est ce que nous avons essayé de définir dans un texte merveilleux qui s’appelle la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, c’est pour tous les français, tous les Européens, chinois, indiens, africains et tout le monde…et c’est à ça que j’ai travaillé.

05:38 : C’est pour ça que je suis heureux d’être porteur encore pour tous ceux qui veulent m’interroger, de ces années de guerre, de résistance, et les années de description des Droits fondamentaux que nous avons tous.

06:00 : Vous avez préparé des questions, alors maintenant je me tais et je vous écoute, qui commence ?

06:50 : Question d’élève : Quel âge aviez-vous en 1939 ?

06:53 : J’avais 22 ans, je suis née en 1917.

07:03 : Je venais d’entrer comme élève à l’Ecole Normale Supérieure à Paris et j’étais mobilisé où on m’a appris le maniement des armes, je savais faire fonctionner une mitrailleuse.

07:28 : Question d’élève : A quel âge avez-vous fait la guerre ?

07:30 : La guerre a été déclarée par la France et l’Angleterre à l’Allemagne Nazie en 1939, j’ai été donc tout de suite mobilisé, mis en apprentissage, et j’ai commencé à me trouver sur un front militaire, en mars 1940. L’Armée allemande plus forte que l’Armée Française nous a envahit, j’ai été fait prisonnier, je me suis évadé tout de suite après, et j’ai essayé de rejoindre le Général de Gaulle en Angleterre.

08:20 : Question d’élève : Qu’est ce qui a été le plus dur dans votre combat contre les Allemands ?

08:25 : Le plus dur a été le sentiment d’une terrible défaite. J’avais l’impression dans l’année 1940 que l’Armée Française n’avait pas été capable de résister. Je me suis donc dit je peux pas accepter ça.

09:03 : Question d’élève : Est-ce que c’était dur d’être résistant ?

09:07 : C’était très intéressant mais pas toujours facile. On avait tous envie de résister. Tous les jeunes français même ceux de ton âge se disaient qu’est ce que c’est que ces allemands ? Pourquoi mon pays est occupé par une armée étrangère ? Et ils avaient envie de montrer qu’ils faisaient quelque chose pour montrer qu’ils résistaient à l’Occupation. Mais comment faire ? On avait pas d’armes, on avait pas de moyens, il fallait trouver des amis qui vous disait moi j’ai un groupe qui essaie de résister, moi je fais un journal clandestin, si tu veux travailler avec moi on va essayer de distribuer le journal clandestin, et moi j’organise une manifestation le 11 novembre par exemple, on va tous se mettre devant le monument aux morts, et on va gueuler et alors les occupants ne seront pas contents.

10:15 : On trouvait un réseau de renseignements ou un mouvement qui faisait du sabotage, maintenant je résiste !

10:28 : Question d’élève : Comment s’appelait le camp de concentration où vous étiez prisonnier ?

10:30 : J’ai été dans 3 camps de concentration successifs. Le 1er le plus connu de tous les camps s’appelle Buchenwald, la forêt de hêtre, c’est un camp où on était plusieurs milliers réunis, et où je suis arrivé condamné à mort et je ne le savais pas. Et je me suis aperçu que tous mes camarades les uns après les autres étaient pendus. Je me suis dit il faut me sauver. Et je suis tombé sur un allemand, lui-même un résistant à Hitler, qui était mieux organisé que les autres et qui m’a dit je vais te sauver, je vais te donner une identité d’un petit français mort du typhus, et avec son identité tu vas pouvoir survivre. Et quand on t’appellera pour te pendre, on dira non il n’est plus là, il est mort du typhus, subtil ! Un joli complot grâce auquel j’ai continué à aller dans 2 autres camps : Rottleberode, où quelqu’un qui est ici a été un camarade de camp. Et puis de là je me suis une fois de plus sauvé. J’avais la manie de l’évasion. Et on m’a mis dans un 3ème camp qui s’appelle Dora qui est un très mauvais camp où les allemands construisaient les missiles, les V1 et V2 et avec quoi ils espéraient détruire Londres. Mais ils n’ont pas réussi et nous avons gagné la Guerre.

12:34 : Question d’élève : Comment et à quel endroit avez-vous été capturé ?

12:37 : J’ai été capturé à Paris, au coin du boulevard Raspail et du boulevard Edgar Quinet parce que un malheureux radio qui a été arrêté et qui avait été torturé n’a pas résisté à la torture et a accepté de donner rendez-vous avec moi. Il n’a pas survécu à la torture.

13:12 : J’ai été arrêté le 10 juillet 1944, 1 mois et demi avant la Libération de Paris.

13:25 : Question d’élève : Comment avez-vous pu survivre dans le camp de concentration ?

13:30 : Beaucoup de mes amis qui ont été dans les camps avec moi ne sont pas revenus. Pourquoi ? Soit parce qu’ils avaient essayé de faire du sabotage, qu’on l’avait découvert et qu’on les pendait, soit parce qu’on les faisait travailler dur, ils s’usaient, on était mal nourri, mal vêtu, on souffrait de la faim, on souffrait du froid. On arrivait pas à bien dormir parce qu’on était 2 sur un petit châlit étroit, et qu’on dormait mal. Et si on y restait 3, 6 mois, 9 mois on mourrait.

14:23 : Moi, j’ai eu beaucoup de chance, j’ai réussi à survivre, j’ai réussi à ne pas me faire trop amocher, à ne pas travailler à des choses pénibles, donc tu me vois 65 ans après je suis encore là.

14:45 : Pourquoi êtes-vous encore en vie ?

14:50 : Pourquoi ? Pour une seule et merveilleuse raison, c’est la chance. Et il faut vous dire que chacun et chacune d’entre vous a la possibilité d’avoir de la chance. Et une façon d’attirer sur soi la chance c’est d’être très gentil avec les autres, c’est tout simple. Plus on est gentil, intéressé par les autres, même par ceux qui ont des difficultés quelquefois, et on le sait, faut être particulièrement gentil avec eux, et à ce moment-là on accumule de la chance. Alors la vie peut vous apporter des douleurs, des souffrances, mais on y survit parce qu’on a de la chance. Moi j’ai eu une chance folle et c’est pour ça que je suis encore là.

15:52 : Question d’élève : Aviez vous des amis ou de la famille dans le camp de concentration ?

15:56 : Non. Moi j’avais un frère aîné mais qui n’a pas été pris. J’avais une mère mais qui n’a pas été prise et j’avais un père qui est mort à l’âge de 60 ans en 1941. Mais j’ai beaucoup d’amis dont les parents ont été arrêté, exécuté ou déporté. Et parmi ceux qui ont été déporté il y en a une minorité qui est revenu à peu près en bon état. Car ces camps étaient une horreur. Et malheureusement une horreur qui n’est pas terminée. Aujourd’hui encore il y a des pays qui mettent des gens dans des camps et qui les traitent comme du bétail et il faut lutter contre cela. Et quand vous serez grand, une de vos tâches sera d’éviter qu’il y ait jamais à nouveau des camps de concentration. Il faut que ça disparaisse de la Terre.

17:15 : Aviez-vous des enfants pendant la guerre ? Si oui ont-ils résisté aussi ?

17:20 : Ma première fille est née en 1946 donc après la guerre. La question que je me suis toujours posée est-ce qu’elle avait envie de savoir quelque chose sur mon expérience des camps ? Et bien au début non. Mais quand elle a commencé à avoir l’âge de poser des questions alors oui j’ai pu lui raconter.

18:17 : Question d’élève : Combien de vos amis sont morts pendant la guerre ?

18:22 : Tout dépend de ce que tu appelles amis. Beaucoup de ceux que j’ai croisé dans les camps ou que j’ai croisé dans les camps ou dans la Résistance ne sont pas revenus.

Et j’ai surtout le souvenir de ceux que j’ai aimé et connu comme par exemple Pierre Brossolette, Jacques M., Jean Moulin, puisqu’ils venaient à Londres, et que là on les rencontrait et on savait qu’ils se battaient en France contre les Occupants. Et quand ils ont été arrêté, pendus ou fusillé, ou torturé, comme Jean Moulin l’a été ça a été très dur à supporter. Et quelque part on se sen responsable. Ca veut dire, moi il faut que je fasse quelque chose, pour justifier le fait que je suis encore vivant. Et je pense que c’est une notion que vous allez tous acquérir peu à peu. C’est la notion fondamentale de la morale. Nous sommes tous et nous devenons au fur et à mesure que nous grandissons, vous avez encore le temps, nous devenons des citoyens responsables. Et plus nous sentons une responsabilité à l’égard des autres et surtout à l’égard de ceux qui ont des difficultés et qui sont plus faibles que nous, plus pauvres que nous. Notre responsabilité est d’être pour eux un peu comme nos éducateurs et nos enseignants sont pour nous, c’est à dire de les traiter avec respect et avec chaleur.

20:25 : Question d’élève : Avez-vous fait les marches de la mort ?

20:30 : Non je n’ai pas eu à faire les marches de la mort. Mais j’ai failli donc je te raconte. J’ai été dans le camp de Dora lorsque en avril 1945 ce camp a été évacué en toute vitesse. Les alliés arrivaient, les SS voulaient partir, et ils nous ont flanqué dans un train, et dans ce train ils nous ont dirigé vers un autre camps Bergelbesen et ceux qui n’ont pas pu entrer dans le train on les a fait marcher, marcher, marcher, et on a tiré sur eux lorsqu’ils étaient trop faibles pour continuer à marcher. Moi j’étais dans le train. Et j’ai réussi à sauter du train à un moment stratégique dans la nuit, et j’ai pu filer à travers l’Allemagne en me cachant le jour dans une ferme, et la nuit je marchais et je suis arrivé jusqu’aux Américains qui étaient là à Hanovre et je leur ai dis je suis un déporté qui vous rejoint. Ils ont dit qu’est-ce que ça, qui êtes vous ? Est-ce que vous connaissez quelqu’un ? J’ai dit oui je connais le Général de Gaulle. Ils m’ont pris avec eux et j’ai continué à me battre dans l’Armée Américaine en direction de Berlin. Voilà comment j’ai échappé aux marches de la mort. Mais c’était en effet une des choses les plus affreuses et quand on vous parle d’un lieu particulièrement affreux qui s’appelle Auschwitz c’est un des camps d’extermination où beaucoup de juifs ont été massacré. Quand les troupes soviétiques sont arrivées à Auschwitz les allemands ont fait sortir les prisonniers qui étaient encore vivants, ils les ont fait marcher, marcher, marcher, sur les routes jusqu’à l’endroit où ils nous ont rejoints nous qui étions à l’autre bout de l’Allemagne. Ca c’est ce qu’on peut appeler les marches de la mort. Ca voulait dire que ou bien on marchait ou qu’on ne pouvait plus marcher et qu’on était trop fatigué il y avait un soldat qui vous envoyez une balle et qui vous tuait. Voilà les horreurs que nous avons connu. Il faut pas que ça vous donne des cauchemars, moi ça m’en donne quelque fois parce que je me ressouviens. Il faut surtout penser nous on est assez solide, assez fort, on veut assez clairement la liberté, l’égalité et la fraternité pour que plus jamais il n’y ait des marches de la mort ou des camps de concentration.

24:10 : et je sais que vous vivez dans un monde difficile, où il se passe des tas de choses injustes, et il faut que vous gardiez l’esprit de la justice. Quand vous voyez quelque chose autour de vous qui vous paraît injuste, il faut pouvoir protester. Mais il faut surtout écouter ce que vous dise vos maîtres, qui vous dise les choses fondamentales qu’il faut savoir. Et je vous récite simplement l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, écoutez bien :

« Tous les êtres humains sont libres et égaux en dignité et en droits, ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Dans ce premier article tout est compris. Libres. Pas trop d’oppression. Libres. Égaux, en droits mais aussi en dignité. Ils sont tous dignes d’être respectés et considérés. Ils sont doués de raison. Il faut donc apprendre beaucoup de choses. Il faut savoir ce qui se passe, il faut comprendre. Et de conscience. C’est-à-dire il faut distinguer ce qui est bien et ce qui est mal. La conscience c’est ce qui vous permet de comprendre que telle chose c’est mal et qu’il faut pas le faire et telle chose c’est bien il faut le faire et ils doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Es-ce que c’est le cas pour vous ? Vous êtes tous frères et sœurs ? Ça va ? Allez…bravo ! Et bien merci beaucoup pour votre attention et malheureusement je suis obligé d’aller dans d’autres lieux toujours à Vaulx-en-Velin mais je garderai le souvenir de vos regards de jeunes êtres encore tout prêt à apprendre des tas de choses et à faire usage de votre conscience. Merci.

Stéphane Hessel sert la main à tous les jeunes en disant bonjour.

Stéphane Hessel :

27:37 : Je vous récite une petite poésie d’Arthur Rimbaud. Cette poésie s’appelle « Sensation » et elle est facile à apprendre par cœur :

« Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l’herbe menue,

Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l’amour infini me montera dans l’âme,

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, heureux comme avec une femme. »

On voit Stéphane Hessel discuter avec les membres de l’AFMD et l’enseignante Nathalie. Des dessins des enfants sont accrochés aux murs.

2010 / Vaulx-en-Velin / lycée Robert Doisneau

  • Date du témoignage : 15/03/2010.
  • Contexte : Témoignage devant une classe de lycée.
  • Source : AFMD du Rhône (publication le )
  • Date d'ajout à la base : 02/03/2023
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Ceci est la transcription brute de la vidéo du témoignage de Stéphane Hessel, sans coupe, sans montage.

Cassette 1

00:44:00 : Roland Beaulaygue (alors président de l’AFMD du Rhône) présente Stéphane Hessel en son hors-champ.

Stéphane Hessel :

00:03:07 : Chers amis, merci de m’accueillir dans ce lycée, y a pas beaucoup de lycéens…présentation de son discours.

00:04:00 : Qu’est ce qui s’est en effet passé lorsque la France a été envahit par les Armées allemandes ? Je me trouvais dans l’Armée comme tout le monde, l’Armée Allemande a envahit l’unité dans laquelle je me battais, m’a mis dans un camp pour officier où je n’ai passé qu’une nuit, j’ai réussi à me sauver, et j’ai réussi à regagner le Sud de la France, à rejoindre l’Afrique du Nord, le Maroc, le Portugal, Bristol, Londres, et le Général de Gaulle auprès duquel j’ai été combattant pendant 2 ans, j’ai été membre de l’état major particulier qui faisait la liaison avec la résistance en France, j’ai été envoyé en mission, arrêté, déporté, condamné à mort, sauvé par un résistant allemand, renvoyé en France où je suis entré dans la carrière diplomatique dès 1945, et je me suis très vite trouvé travailler dans l’Organisation des Nations-Unies.

00:05:33 : Dès les années 42, un groupe de savants et juristes français, Pierre-Henri Teitgen, Bastide, Claude-Lévi Strauss et d’autres ont travaillé dans un comité général d’étude qui avait pour préoccupation ceci : « que sera la France après la Libération ? ». On était encore en pleine guerre. On savait que cette guerre était loin d’être gagnée. L’année 41 a été épouvantable, il ne restait debout que Churchill et encore…42 a été mauvais, 43, un peu meilleur, mais on savait bien entendu que cette guerre se terminerait un jour, et qu’il était important de réfléchir déjà à quelle serait les valeurs fondamentales sur lesquelles il faudrait construire la France d’après la Libération. Ce n’était pas évident ni facile. Il y avait bien sûr le souvenir de la Révolution Française, de la 3ème République, des valeurs fondamentales de liberté, égalité, fraternité, mais on avait tellement le sentiment que ces valeurs n’avaient pas été porté avec suffisamment de fermeté par les gouvernements qui ont précédé la 2ème Guerre Mondiale qui fallait inventer quelque chose de nouveau, et de fort et d’enthousiasmant. C’est dans cet esprit à moitié porté par une utopie, et à moitié par une expérience concrète, des difficultés rencontrées qu’on a travaillé sur ce texte.

00:07:35 : Vous savez que finalement ce texte a été adopté grâce à Jean Moulin par un Conseil composé en fin de compte par non seulement les dirigeants des mouvements de Résistance, combat, libération, francs-tireurs, défense de la France, ceux de la Libération, ceux de la Résistance, mais aussi par les partis politiques, c’était un risque pris par Jean Moulin à la demande du Général de Gaulle (…) Le Général de Gaulle était loin d’être accepté, admiré, apprécié par les alliés Britannique et surtout Américains, le président Roosevelt avait décidé que ce général ne lui convenait pas, qu’il avait une grande et vieille amitié pour le Maréchal Pétain, le vainqueur de Verdun, qui pour les Américains représentaient un moment historique fort, donc le risque que nous courrions tous, nous qui pensions à une Libération de la France avec comme porte-parole Le Général de Gaulle, le risque c’est que la Résistance ne soit pas reconnu comme étant dans la mouvance, dans la ligne de cette volonté de se battre, qui était à l’époque incarnée par le Général de Gaulle. Il s’agissait donc et c’était la tâche de Jean Moulin, de faire apparaître que la Résistance Française dans toutes ses composantes, aussi bien ceux qui se battaient déjà que ceux qui avaient les responsabilités politiques anciennes, que l’ensemble de cette Résistance faisait appel au Général de Gaulle, pour porter leur valeur et pour les faire respecter lorsque la France serait libérée. Il fallait choisir avec précaution ces valeurs.

00:10:00 : L’équilibre politique au sein du CNR était très particulier.Vous vous souvenez bien sûr qu’en 1940 l’impact germano-soviétique avait fait apparaître les communistes comme n’étant pas absolument les ennemis du nazisme. Ce qui était d’ailleurs méconnaître leur valeur fondamentales. Mais ce pacte avait jeté un froid. Il fallait donc que revienne dans la Résistance, l’apport incomparablement fort, du Parti Communiste et de ceux qui en était les agents, les francs-tireurs et partisans. Ils étaient au sein du CNR doublement représenté d’une part par les portes-paroles du Parti Communiste y compris par les portes-paroles de la Fédération Syndicale mondiale c’est-à-dire du Syndicalisme d’extrême gauche, mais aussi par quelque chose que l’on a appelé à l’époque le Front National et que je vous supplie de ne pas confondre avec cette horreur qui vient d’avoir encore un succès incroyable et scandaleux aux élections d’hier. Le Front National représentait au contraire la volonté de rassemblement des communistes et de leurs alliés et il avait toute sa place au sein de ce Conseil National.

00:11:50 : Il fallait donc trouver une formulation et c’est une formulation très importante pour nous qui dise clairement ce que les résistants attendaient de la France d’après la guerre. Et là nous trouvons des formules qui ne faut pas perdre de vue aujourd’hui puisqu’ils s’agissait de réaffirmer les droits économiques et sociaux fondamentaux du peuple. Le besoin d’échapper aux féodalités économiques et financières, au maintien d’une école publique, porteuse des valeurs de la Révolution et une sécurité sociale permettant à tous de vivre dans des conditions de santé et de bien-être. Tout cela figurait dans ce petit texte.

00:12:55 : Ce petit texte a été adopté le 27 mai 1943 par le Conseil National réuni par Jean Moulin et envoyé immédiatement par télégramme à Londres avec la demande que ce texte soit transmis pour que le Général de Gaulle sache que c’est à lui que la Résistance s’en remettait pour que ce programme soit adopté après la fin de la guerre.

00:13:34 : Dans l’intervalle, des hommes très différents avaient essayé de faire alliance avec l’Angleterre et les Etats-Unis après la conquête de l’Afrique du Nord en novembre 42. Voilà d’abord que l’amiral Darlan et ensuite le général Giraud se sont présentés aux américains comme les représentants éventuels d’une France à libérer. Les Américains en voyant arriver Darlan, ont eu un réflexe pratico-pratique, il leur apportait la flotte française dont ils avaient bien besoin. Négligeant le fait que Darlan avait été le plus germanophile des compagnons du Maréchal Pétain, ils n’ont pas hésité à lui rendre respect et à lui demander de ramener la flotte et les armées françaises d’Afrique du Nord dans le sillage des alliés. Il s’y serait volontiers prêté par une chance exceptionnelle pour nous et malheureuse pour lui, il a été assassiné par un jeune français patriote. Ayant disparu il restait le Général Giraud.

00:15:05 : Dans les premiers mois de 1943, les Américains préféraient Giraud à De Gaulle parce que De Gaulle résistait dans sa défense des valeurs et des responsabilités nationales de la France, alors que Giraud n’y connaissait rien, et était prêt à abandonner tout ce que les Américains auraient souhaité qu’on abandonne.

00:15:34 : Je vous rappelle cette période que vous n’avez pas pu vivre, que j’ai eu moi le privilège de vivre, me trouvant à l’époque encore en Angleterre, et suivant pas à pas ce cheminement, et c’est la raison pour laquelle il fallait que la Résistance représentée par son Conseil National s’exprime clairement pour dire : « nous ne voulons ni de Darlan ni de Giraud, nous voulons la France libre, la France combattante, le Général de Gaulle. » C’est à quoi s’était décidé tous ceux qui composait le Conseil National et parmi lesquels une place importante a été celle des communistes, mais aussi celles des socialistes, Daniel Meyer notamment, il y avait donc la une volonté, qui s’est exprimée d’ailleurs, tout de suite après la Libération, car on peut dire que les 1ères mesures prises après la Libération notamment, tout le travail fait par Pierre Laroque pour la Sécurité Sociale, qui a été une des conquêtes de la France d’après guerre. Tout le travail qui a été fait pour les droits sociaux, pour les droits à l’Education Publique, pour le droit à une presse indépendante, et pour une Résistance contre le pouvoir excessif, des grandes entreprises privées, tout cela nous le devons à ceux tout de suite après 1945 ont gouverné la France dans un sens conforme en gros au moins aux objectifs déjà présentés par le CNR.

00:17:26 : Le CNR inspiré par le Front Populaire. N’oublions pas que la France a connu en 1936-37,une évolution économique et sociale très moderne, très nouvelle, très progressiste, très à gauche, qui était le Front Populaire. Et les idées du Front populaire se retrouvent en bonne partie dans le CNR.

00:18:00 : Mais ce qui est plus important encore pour ma génération, et aussi pour la votre et les suivantes, c’est que ces mêmes idées, ont été reprises, et beaucoup grâce à un français qui a joué un rôle capital, tant auprès de De Gaulle qu’après. C’est René Cassin. René Cassin a été l’homme qui a donné à De Gaulle sa légitimité juridique d’homme restaurateur des valeurs de la République et qui a fait comprendre que la France de Vichy ne pouvait pas être considéré comme l’héritière de la République, que c’était la France combattante qui était cette héritière.

Le même René Cassin s’est trouvé avec moi d’ailleurs, ça a été ma chance, tout de suite après la guerre, au moment où l’ONU, née immédiatement après le conflit, ayant sa Charte en juin 1945 approuvée à San Francisco, au moment où les Nations-Unies essayaient de clarifier ce que signifiait les valeurs fondamentales sur lesquels cette nouvelle organisation mondiale la première qui soit vraiment mondiale dans l’histoire des sociétés humaines pourrait fonder sa vision et son action. C’est le travail qui a été fait pendant les 3 ans de 1945 à 1948, par une petite équipe de 18 grands juristes, et qui a donné lieu à l’Adoption le 10 décembre 1948, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

00:20:08 : Quel culot, quel toupet, d’appeler un texte universel, et de prétendre qu’en 1948, on pouvait donner un programme, à tous les hommes, toutes les femmes, tous les enfants de la Terre, universelle, sur un certains nombre de droits, de libertés, affirmés une fois pour toute, et pour tout le monde.

00:20:35 : C’est le président René Cassin, qui a imposé l’adjectif universel. J’étais là à l’époque. Les autres participants à ce travail, acharné, important, auraient volontiers appeler ça la Déclaration Internationale des Droits de l’Homme. Ils étaient prêts à dire que c’était les États qui s’étaient mis d’accord sur un texte, or, en appelant Déclaration Universelle on montrait ce qui figurait d’ailleurs dans le préambule, qu’il s’agissait non pas des États mais des peuples, et que c’était les peuples qui demandaient aux États de s’obliger à respecter désormais ces libertés et ces droits. Voyez la force de ce texte […].

00:21:30 : C’était un appel à la conscience universelle pour que ces libertés et ces droits soient considérés comme fondamentaux pour l’évolution future des sociétés mondiales. Nous y retrouvons beaucoup des thèmes que l’on trouve aussi dans le programme du CNR. Cassin avait été formé par ce texte, la France jouait encore un rôle déterminant dans la définition des grandes valeurs universelles.

00:22:20 : Ce qui naturellement ne peut que nous attrister, c’est que ce beau programme n’a été réalisé à aucun moment, il ne s’est pas passé 2 ans après sans que la confrontation entre l’Est et l’Ouest rendent l’application de ce programme plus contradictoire, les uns mettant l’accent sur certaines libertés et certains droits, d’autres sur d’autres et se confrontant à l’intérieur des Nations Unies de manière à bloquer souvent le fonctionnement de cette importante machine. Nous ne pouvons que regretter que ce merveilleux programme soit encore très en retard sur son application. N’exagérons pas cependant ce retard car lorsque je repense à ce qu’était le monde au moment où la Déclaration a été adoptée et surtout quelques années avant, les déchirements, les drames, que nous avons vécu, il faut reconnaître qu’au cours des 60 années qui ont suivi, d’énormes progrès ont été accomplis.

00:23:45 : Nous avons aujourd’hui 192 états membres des Nations-Unies qui se réunissent tous les ans, qui discutent tous les ans de ce qu’on pourrait faire pour améliorer les sociétés mondiales, des progrès ont été fait, énormes, de décolonisation, c’est une des résultante de l’existence des Nations-Unies en matière de lutte contre l’apartheid, mais je n’ai pas besoin de vous le dire, de le souligner, il reste d’immenses conflits non résolus, il reste le fait que malgré l’effort des Nations-Unies, malgré les décisions prises par le Conseil de Sécurité, il y a encore l’immense problème du Proche-Orient où entre Israël et Palestine, on approche même pas encore d’une véritable solution de cette crise épouvantable, qu’il y a encore en Afrique des zones entières de conflit non résolu. Ce programme que les Nations-Unies portent avec constance, avec l’existence d’un Conseil des Droits de l’Homme, qui chaque fois que c’est nécessaire, met l’accent sur ce qui est encore non résolu, malgré tout ça il reste fort à faire. Sur les 192 états membres, combien y’en a t’il qui respectent véritablement les Droits de l’Homme ? Nous le savons, très peu ! Et si nous disons il devrait y en avoir au moins un qui pourrait s’appeler la France, nous sommes obligés de nous creuser la tête et de nous dire est-ce que vraiment en France les Droits de l’Homme qui figurent dans la Déclaration Universelle sont acceptés ou même tel qu’ils figurent dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme, et la réponse est malheureusement non. Nous n’appliquons pas encore ni le droit des prisonniers au respect qui leur est dû, ni le droit des enfants à bénéficier de l’école publique, partout et pas seulement d’un mélange de l’école publique et de l’école privée. Nous ne bénéficions pas encore à un véritable droit au logement. Et quand on voit ce qui se passe en matière d’immigration, l’article 13 de la Déclaration Universelle dit expressément « tout homme a le droit de quitter son pays et d’y revenir, tout homme a le droit à une nation et à être reconnu par la nation où il réside ». Il y a énormément de travail à faire dans notre propre pays.

00:27:10 : [] Europe, parce qu’en mon sens nos problèmes ne peuvent plus être résolus sur un cadre purement nationale, sur un plan d’un pays. Ils doivent être résolus au plan mondial, et à partir d’une formation européenne forte et écologie. Car le défi nouveau que nous n’avons pas pris en compte au moment où nous rédigions la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 1946, 47, 48. C’est le défi de la Terre. Le défi d’un environnement fragile, précaire, sur lequel par la force d’une économie financiarisée sans scrupules qui a gaspillé, galvaudé les ressources de la Terre, sur laquelle nous faisons peser maintenant un danger considérable. Il y a ceux qui disent c’est peut-être pour demain, ceux qui plus prudent disent : non on a peut-être encore un peu de temps, mais aucuns ne dit plus que ce risque la, ce péril la, n’est pas devenu par la force des choses, un péril gigantesque auquel il est tout à fait essentiel que nous apportions rapidement des solutions. Et ça demandera un effort de tous, et une reconversion même dirais-je, de la formation scolaire, car nous formons encore dans tous les pays les enfants, à la compétition, à la rivalité, à faire plus les uns que les autres, et non pas apprendre à coopérer et à avoir une vision fraternelle et non pas conflictuelle de l’évolution de leur carrière.

Cassette 2

00:10:00 : Nous jouons encore la partie par une élection du président au suffrage universel. L’homme que j’admire en France, Pierre Mendès-France, avec qui j’ai eu la chance de travailler pendant 7 mois et 7 jours, a toujours apporté sa contestation. Non un président doit être quelqu’un qui ne doit pas être élu au suffrage universel, parce que dès qu’il l’est, ou bien il exerce une toute puissance excessive, ou bien il perd la possibilité de diriger et à ce moment-là il n’y a plus personne pour le remplacer. Le Parlementarisme est la vraie forme de la Démocratie, et nous en sommes loin.

00:01:05 : Je pense que nous avons à nous préoccuper sur le plan national, de donner des formes aussi équilibrées possibles à nos forces politique. Nous vivons dans un pays dont une majorité de la population n’a plus confiance dans les élus, les parlementaires. On a bien vu avec 53% d’abstention hier. On cherche autre chose : c’est l’action des organisations non gouvernementales, des associations citoyennes, des organismes comme Amnesty, comme la FIDH, défenseur des Droits de l’Homme, organisme civile, qui font naître entre les hommes et les femmes de nos régions et de nos villes, une volonté civique plus forte. C’est d’eux peut-être que va émerger ici en France, et dans les autres pays européens qui ont le même problème à résoudre, quelque chose qui donnerait une vision plus conforme aux utopies et aux idéaux que ce soit ceux du CNR ou ceux de la Déclaration Universelle des droits de l’homme. C’est à cela me semble t’il que nous avons tous, mandat, mission, à apporter notre concours, en sachant que ce sera long, pas facile, mais c’est comme ça que nous arriverons à faire germer, d’abord en France puis en Europe, puis plus largement dans les sociétés mondiales, en pleine évolution, un monde plus capable de gouverner intelligemment la planète, la Terre, et plus capable de faire disparaître une partie, des effroyables injustices, qui sont là aujourd’hui, par l’écart toujours croissant, entre les pauvres et les très riches, un écart qui devient insupportable, dès que nous nous promenons un peu dans les pays d’Afrique, en Palestine, en Amérique latine, dans les favelas brésiliennes etc. Cette injustice là, cet écart insupportable entre ceux qui peuvent se permettre tout et gaspiller tout, et ceux qui vivent avec 2 dollars par jour, cet écart là nous ne pouvons pas le supporter indéfiniment, et c’est à cela que les jeunes générations peuvent et doivent apporter leur dynamisme et leur énergie. Ils ont pour ça des moyens que nous n’avions pas, des moyens de communication extraordinaire que j’admire sans oser y toucher, le web….mais eux tout de suite mes petits-enfants, combinent déjà tout ça. Et ça leur donne des possibilités et des responsabilités. Et c’est là que le mélange entre ce qu’on leur apprend et ce qui savent faire est extrêmement important.

00:04:50 : Je voudrai simplement vous rappeler le texte de l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Tous les êtres humains sont libres et égaux en dignité et en droits, ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns à l’égard des autres dans un esprit de fraternité. » Dans ce premier article, il y a tout ce qu’il nous faut, il y a la liberté, il y a l’égalité, il y a la dignité, j’insiste là-dessus, le respect de l’autre, quelque soit sa couleur de peau, quelque soit sa religion, quelque soit sa condition de fortune. Dans l’article 2, tout ça est énuméré, quelque soit son sexe bien entendu, il doit être respecté dans sa dignité. D’autres parts, il est doué de raison, ça veut dire qu’on peut raisonner, qu’on devenir plus intelligent, qu’on peut mieux comprendre, on doit mieux comprendre les problèmes du monde. Mais aussi de conscience, c’est-à-dire que la raison ne doit pas l’égarer à construire par exemple des bombes nucléaires, ça se fait avec beaucoup de raison, mais avec très peu de conscience. Donc on a besoin de raison et de conscience et on doit agir dans un esprit de fraternité alors là je vous demande de faire très attention parce que où se trouve actuellement l’esprit de fraternité dans les grandes entreprises, entre patron et travailleur, c’est aussi quelque chose à quoi nous devons essayer d’apporter notre énergie. Merci.

00:07:47 : Question du public : Quelles ont été les idées du CNR appliquées à la Libération ? Et quelles sont celles qui sont démolies maintenant par les différents pouvoirs qui se sont succédés ?

00:08:00 : Il faut voir ce programme comme un texte très général, très court, qui n’entre pas dans les détails. Mais par exemple la notion de Sécurité sociale a été appliqué à la Libération [problème de son], est-elle encore aussi fermement installée que nous le souhaitons tous ? Aucun gouvernement français si droitier soit-il n’a osé mettre un terme au fonctionnement de la Sécurité Sociale. Mais nous savons bien qu’il risque à chaque instant de ne pas être porté comme il devrait l’être, la question des retraites.

00:08:59 : L’idée d’échapper à la féodalité des puissances économiques qui figure dans le programme. Est-ce qu’on peut dire que ceci est aujourd’hui appliqué ? Est-ce que après la grande crise de ces derniers mois on a beaucoup donné aux banques, est-ce qu’on s’est mis un peu à l’abri de la féodalité des grandes entreprises internationales ? Je n’en suis pas sûr. L’école, la presse, l’indépendance de la presse, qui était fortement affirmé dans ce programme, voilà encore des questions sur lesquels pèsent un certains nombre de lourdeur à l’heure actuelle. Et si nous voulons faire naître en France une alternative au Gouvernement actuel, sans pour autant révolutionner complètement la Démocratie Française, mais en faisant venir aux positions de responsabilités des femmes et des hommes qui ont conscience de l’importance des ces valeurs, que nous venons d’évoquer rapidement, il y a fort à faire pour cela. Oui certaines des idées du programme ont été appliquées, certaines sont encore sauvegardées, mais beaucoup sont fragiles. C’est pour ça que je suis heureux que l’on fasse encore circuler ce texte de 2 pages qui est vite lu et qui est un beau texte, pour que les français se rendent compte qu’il y a des objectifs clairs, formulés avec simplicité, et auquel nous devons continuer à apporter notre support.

00:11:35: Questions du public : La question des colonies qui n’a pas été abordées et qui reste tabou aujourd’hui encore dans le discours… Est-ce que vous pouvez expliquer pourquoi à l’époque c’était en retrait ?

00:11:57 : Effectivement, les vainqueurs de la 2ème Guerre Mondiale étaient, pour beaucoup d’entre eux, des empires. L’Empire britannique, le soleil ne se couchait jamais sur lui, l’Empire français était substantiel, conséquent, l’Empire Russe était immense et l’Empire Américain l’était aussi, n’oublions pas que l’Amérique exerçait une sorte d’imperium, aussi sur une bonne partie de l’Amérique centrale et de l’Amérique latine. Les rédacteurs de la Charte des Nations-Unies et plus encore les rédacteurs de la Déclaration universelle ont mis dans le texte le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ils ont très nettement dit que ces droits devaient s’appliquer non seulement aux populations des États membres et aux populations pour lesquelles les États membres exerçaient encore une souveraineté. Donc il faut bien dire que dans l’esprit des Nations-Unies, la décolonisation était là en germe. Et si elle est finalement intervenue au moins sur le plan juridique mais j’y reviendrai sur d’autres plans dans un espace de temps assez court entre 1945, Charte des Nations Unies et 1970 fin à peu près de tous les empires coloniaux sauf l’Empire russe qui a duré encore 20 ans de plus, et bien c’est une courte période, et il y a donc eu sous la pression internationale c’est sûr, sous la pression des rencontres au sein des Nations Unies, il y a eu une très vaste décolonisation sur le plan juridique. Ce qui ne s’est pas fait avec la même énergie et qui pourtant figure aussi dans les textes des Nations Unies. C’est-à-dire la responsabilité des pays riches pour le développement des pays pauvres. Évidemment des pays décolonisés accédant à l’indépendance était pour la plupart des pays très pauvres. Et bien là-dessus, en 1964, à la première conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement, à la demande d’ailleurs du français qui dirigeait la délégation française qui était André Philippe, un rescapé aussi de la période de De Gaulle. On a dit et bien c’est très simple il faut que les pays riches accordent 0,7 % de leur produit national brut au développement des pays pauvres. On a trouvé à l’époque que c’était peu 0,7 % et on a dit ce qui militait il faudrait aller à 1 %. Et bien aujourd’hui cher Monsieur vous le savez, nous en sommes à 02,5 %. Donc jamais les pays riches n’ont fait ce que les Nations Unies leur proposaient et leur demandaient. Et par conséquent la décolonisation juridique n’a pas été suivi d’un équilibrage économique qui était essentiel et c’est ce qui cause ce que je soulignais tout à l’heure, l’écart croissant entre la pauvreté extrême notamment dans des pays issus de la décolonisation et les pays industrialisés poussés par la cupidité est la rapacité des dirigeants des pays riches. Merci pour votre question.

00:16:18 : Questions du public : Vous nous parlez des éventuelles aspect de politique internationale qui se trouvaient dans le programme du conseil national de la Résistance dans les années 43 où l’Allemagne occupait une grande partie de l’Europe, est-ce que ceux qui travaillait, qui ont élaboré ce programme avaient intégré aussi des réflexions pour l’avenir de l’Europe et en particulier sur l’avenir des relations franco-allemandes…

00:16:45 : En effet dans le programme proprement dit du Conseil national c’est le mot-clé de la Résistance d’après l’occupation c’était qu’est-ce que la nation française allait devenir après la Libération ? Sur quelle grande valeur poserait elle ? Cela dit dans la Résistance française il y a eu dès le début une considération amicale pour le peuple allemand, il n’y a jamais eu je l’ai constaté dans tous les contacts que j’ai pu avoir avec des résistants français, lorsqu’il venait à Londres ou lorsque je l’ai retrouvé en France, il n’y a jamais eu la confusion terrible entre le nazisme et l’Allemagne. Nous savions qu’il y avait eu une résistance allemande, nous savions même à Londres qu’il continuait à y’avoir une résistance allemande puisque nous avions des agents secrets allemands qui avaient leur correspondant à Londres.

00:18:00 : Donc que l’Allemagne soit un partenaire inévitable pour la France une fois vaincue et disparu le nazisme, je pense que tout le monde le sentait, je dirais que ceux d’entre nous et je me tourne vers mon camarade de Rotleborode, tous ceux d’entre nous qui avons vécu dans les camps, nous y avons côtoyé des résistants Allemands qui avait formé la base de ces camps, certains s’étaient laissé gagner par l’affreuse esprit de camps où la brutalité envahie l’homme à tel point qu’il perd son humanité, mais heureusement pas tous. Moi-même, je l’ai rappelé, j’ai été sauvé par un grand résistant allemand qui a permis la survie de deux britanniques et de moi-même, donc l’idée que France et Allemagne avait quelque chose à avoir en commun, et bien ça n’a jamais disparu complètement. Disons que nous avons tous eu une période où le seul mot d’Allemagne, le seul mot de langue allemande, nous rappelait péniblement ce que nous avions entendu au cours de cette période de l’occupation et à plus forte raison des camps de concentration. Mais je pense qu’une chose s’est également élaboré au sens même des camps. Une volonté d’être européen. Car c’est dans les camps qu’on a rencontré le plus d’Européens victimes des mêmes impressions et des mêmes horreurs que nous. Que ce soit les Hollandais, les Polonais, les Belges, les Italiens les Danois, les Hongrois, les Roumains, tous qui étaient là dans les camps avec nous, il y avait quelque chose en eux qui déjà aspirait à un cheminement vers une Europe. Et ça a été rapide. Une des choses les plus étonnantes au point de vue historique, c’est la rapidité avec laquelle la France d’après-guerre, et l’Allemagne d’après-guerre, se sont retrouvées. De 45 à 57, ça fait 12 ans. C’est pas beaucoup. Et en 57, ça y’était, c’était l’Europe à construire et l’Europe avec comme base fondamentale et solide, la France et l’Allemagne. Malheureusement seulement, la France et l’Allemagne de l’Ouest. Et je rappelle toujours, je m’excuse je parle beaucoup trop longtemps mais tant pis pour vous, je rappelle aussi toujours à ceux avec qui je réfléchis sur l’Europe d’aujourd’hui, je rappelle que de tous les peuples européens, le peuple allemand est celui qui a subi le 20e siècle le plus extravagant. Il a connu l’Empire Wilhelminien. Glorieux. La défaite de 14-18. Terrible. L’inflation galopante. La chute à l’abîme. Pas suffisamment aidé par les vainqueurs. Il a connu la montée effroyable du nazisme avec l’hubris extraordinaire de ce Hitler victorieux partout et qui leur montait à la tête et puis la chute car finalement le l’hubris d’Hitler a duré 4 ans. Pas plus. Et au bout de 4 ans l’épouvantable chute, la destruction de l’Allemagne, qui a été davantage détruite. La façon dont les femmes allemandes ont été violées par la soldatesque russe c’est un souvenir épouvantable pour les Allemands. Bon c’est déjà une étape difficile à accepter pour un peuple. Et puis après ça qu’est-ce qui leur arrive on les coupe en deux, et en deux qui se regarde avec animosité, qui dise l’un de l’autre c’est des affreux, c’est des traîtres, c’est en réalité des nazis, c’est en réalité des totalitaires affreusement staliniens. Et 40 ans plus tard on leur dit maintenant faut que vous viviez ensemble. Pas facile. Et bien ils y arrivent. Et quand on va aujourd’hui en Allemagne, il reste des traces. Faut pas le nier, de la difficulté à vivre ensemble entre est et ouest. C’est pas complètement terminé. Mais ils ont fait des progrès gigantesques. Et aujourd’hui nous avons affaire heureusement à une Allemagne démocratique, fédérale, et qui est pour nous autres européens un partenaire formidable.

00:25:06 : Questions du public : Pouvez-vous nous expliquer votre parcours de résistants et échanger avec Maurice à côté de vous aussi la vie dans les camps ? comment vous avez fait pour vous en sortir ? Expliquez nous vos tentatives et vos réussites d’évasion…

Écoutez c’est une longue histoire très personnelle et donc peut-être très ennuyeuse pour ceux qui ne l’ont pas vécu mais enfin puisque vous m’y invitez, je vous dis très simplement et aussi brièvement que possible, comment quelqu’un qui se trouve mobilisé comme tous les Français en septembre 1939, commence par une période de formation au métier militaire qui m’était étranger comme à tous mes camarades de l’École normale supérieure, qui était formé en même temps que moi à la caserne Canclaux, à Saint-Maixent-l’École. J’aime autant vous dire que l’esprit de Saint-Maixent-l’École était plutôt l’esprit du canular et pas du respect immense pour les généraux et pour les militaires. Enfin on était là, c’était la drôle de guerre, c’est-à-dire il ne se passait rien ou pas grand-chose et on s’amusait à faire des blagues à ce qui nous commandait, c’était l’habitude des normaliens. Mais au bout de 3 mois on était formé, j’ai été envoyé à Ancenis près d’Angers pour prendre en main une section de jeunes Bretons, les former au combat, et les emmener avec moi en Sarre. C’est-à-dire à l’espace où nous nous trouvons ligne Maginot d’un côté ligne Siegfried de l’autre, et où pendant les premiers mois de l’année 1940 on était en stabilité il ne se passait rien. J’ai eu un merveilleux capitaine que j’ai retrouvé par la suite comme un des grands résistants français et qui à l’époque commandait une compagnie cycliste, c’était pas des chars, c’était des bicyclettes. Et bien je lui ai joué un sale tour parce que j’étais jeune et impertinent et je me suis avancé avec deux de mes camarades en direction des lignes allemandes pour tâter un peu le terrain. Quand je suis revenu il m’a engueulé en disant on ne fait pas ça sans commandement ! C’est très dangereux. Je me suis tenu tranquille jusqu’au moment où la Wehrmacht a commencé à déferlé et nous avons reculé reculé reculé tous les jours toutes les nuits encore un peu en arrière encore un peu en arrière jusqu’à Saint-Dié où nous avons rendu nos armes. On nous a dit c’est fini c’était le 20 juin mais c’était pas tout à fait fini pour nous parce que sur la route un groupe allemand nous a pris en charge, nous a mis dans un camp avec des fils de fer autour et nous a menacé de nous emmener dans un oflag en Allemagne. J’ai pas aimé ça je me suis évadé le lendemain matin sans grande difficulté et j’ai rejoints le sud de la France. Je suis tombé sur ma femme, je m’étais marié à Saint-Maixent en novembre 1939, j’ai retrouvé ma femme à Toulouse et je lui ai dit qu’est-ce qu’on fait maintenant ? et elle m’a dit faut pas rester dans ce pays occupé même si nous étions en zone libre , il n’y a qu’un endroit où tu peux être utile c’est auprès du Général de Gaulle. Je lui ai dit ah tu crois ? Tu as sûrement raison.

Je me suis retrouvé à Marseille avec quelqu’un dont je suis heureux de vous dire un mot à cette occasion. Il s’appelle Varian Fry, c’est un jeune américain qui a été envoyé pour essayer de soustraire à la griffe allemande des grandes figures de l’art et de la littérature française ou européenne, Max Ernst, Breton, Duchamp, Hannah Arendt et plusieurs autres mais qui ont étendu sa possibilité d’action et qui a sauvé plus d’un millier de juifs donc il sentait qu’ils étaient les plus menacé d’entre nous, de sorte qu’il est devenu le seul américain juste entre les nations. Vous avez ce que c’est que cet attribut que donne l’État d’Israël à des gens qui ont sauvé beaucoup de juifs pendant la guerre. Et bien le seul américain c’est Varian Fry. Et c’est grâce à lui que j’ai obtenu un visa pour les États-Unis, très irrégulier, une possibilité de m’embarquer pour Alger, et de là pour Casablanca , et de là pour Lisbonne, et de là pour Bristol. Et que en mars 1941 je suis arrivé à Londres. Là je me suis présenté au service de la France libre, on m’a envoyé dans un petit camp, à Camberley en attendant de m’affecter quelque part. Je suis tombé sur Christian Fouchet qui était un camarade de l’école alsacienne et qui m’a dit ici les Anglais ont surtout besoin d’aviateur. J’ai dit moi je suis pas aviateur mais je veux bien me faire former comme aviateur et j’ai été pris est formé dans 3 stations successives de la Royal Air France. Et je peux vous dire que pour un petit français de 23 ans, être formé dans un camp de la RAF c’était merveilleux. Car de toutes les unités britanniques qui s’étaient battues, la seule qui avait vraiment l’impression d’une victoire, puisque c’est elle qui avait empêché en 1940 l’invasion de l’Angleterre par l’Asie. On était temps plein exubérance et je rappelle à cet égard pour ceux d’entre vous qui comprennent un peu l’anglais la phrase extraordinaire que Churchill a prononcé à l’égard des pilotes qui ont sauvé l’Angleterre : «Never in the field of human conflict was so much owed by so many to so few ». « Jamais dans l’histoire des conflits tant de gens n’ont dû autant à si peu. » C’est une phrase qui se compose de 4 adverbes sans un substantif. C’est assez rare et assez difficile.

Donc merveilleuse expérience pour moi, mais tout de suite après un de mes camarades m’a dit c’est très bien d’être courageux mais c’est encore plus important d’être utile, tu parles bien l’anglais donc tu vas, je t’en prie, venir avec nous au sein de l’État major particulier du général de Gaulle qui essaie d’avoir des gens pour faire la liaison entre l’état-major allié britannique et donc de langue anglaise et la Résistance française. Et nos bureaux sont là pour envoyer le matériel nécessaire à la Résistance, pour former des Français à devenir des agents secrets, et pour essayer de donner à la résistance les moyens dont elle a besoin. J’ai fait ce travail exaltant, merveilleux pendant 2 ans. Mais en même temps j’avais très mauvaise conscience. J’étais assis dans mon bureau de Duke Street à Londres et ceux avec lesquels je travaillais aller au casse-pipe jour après jour, j’ai dit ce n’est plus supportable je veux y aller aussi.

00:33:41 : Et j’ai monté une mission, une mission qui m’a amené à aller auprès des réseaux de résistance et de réorganiser le réseaux radio qui devait fonctionner au moment du débarquement. J’ai fait ce travail pendant 3 mois et demi et au bout de trois mois et demi un malheureux radio qui avait été repéré par la goniométrie allemande, qui avait été arrêté qui me connaissait de Londres et qui s’est dit je peux peut-être me sauver de la torture en donnant le rendez-vous avec ce Stéphane Hessel que je connais bien et malheureusement il s’est laissé emporter par cette idée il m’a donné rendez-vous et j’ai été arrêté à Paris le 10 juillet 1944.

Ce qui a fait que j’ai passé un long mois interrogé par le service de sécurité allemand j’ai connu la baignoire, j’ai connu les gifles, et les mains derrière le dos. J’ai heureusement soutenu ce type de torture sans trop y perdre ma capacité physique et quand finalement le 8 août on m’a embarqué avec 35 autres camarades en direction de Buchenwald je tenais à peu près encore debout. J’étais pas amoché. Et ça m’a beaucoup servi à Buchenwald, comme je l’ai déjà raconté ma pendaison a été évité par un merveilleux déporté allemand, Hoygen Kogen [orthographe à vérifier], qui a manigancé ce complot par lequel 2 britanniques et moi nous avons été sauvé de la pendaison et donné comme identité l’identité de 3 jeunes Français mort du typhus qui eux ont été envoyés au crématoires sous notre identité. Comme quoi faut pas trop jouer avec l’identité nationale je me méfie moi mon identité elle est multiple. Je me suis appelé Boitel. Et bien après cela donc j’ai été avec celui-ci dans un petit camp où on fabriquait des trains d’atterrissages pour Junkers 53 mais j’ai réussi à m’en évader un bon jour de février, 5h après j’étais repris et envoyé dans un très mauvais camps où on fabriquait les V1 et V2 de ce camps là quand il a été évacué le 5 avril 1945 je me suis échappé du train, encore une évasion, j’ai rejoints l’armée américaine à Hanovre et je suis finalement rentré à Paris le 8 mai 1945 le jour même où Churchill déclarait la fin de la guerre en Europe.

00:37:08 : Questions du public : Pourquoi vous ne racontez pas comment vous avez fait des prisonniers allemands ?

Je raconte rarement cette histoire. Je l’ai quand même raconté dans mon livre. Donc pourquoi ne pas vous la faire connaître aussi. C’est une petite histoire. J’avais en arrivant à Hanovre, j’avais dit moi j’veux me battre. C’était mon idée depuis le début. J’ai toujours eu l’impression que je ne m’étais pas suffisamment battu. J’avais fait des tas de choses, appris le métier de navigateur de la RAF mais sans jamais faire une opération sur l’Allemagne. Donc ça me manquait quelque part. Et j’ai dit aux Américains, est-ce que vous accepteriez de me prendre dans une unité qui continue à avancer en direction de Berlin ? Il m’ont dit oui ! Je me suis trouvé dans une unité dont le capitaine était un texan et je communiquais avec lui par radio et je communiquais dans mon anglais à moi qui était l’anglais de Grande-Bretagne et lui à la fin de la journée il a dit mais qu’est-ce que c’est cet anglais qui parle une langue qui n’est pas du tout l’Américain comme les autres et j’ai dit mais c’est moi parce que j’ai appris mon anglais à Londres alors il était tout content.

Et puis 2 jours après, 3 jours après on se trouve dans un petit village on me dit vous le capitaine français allez dormir là-haut on vous réveillera quand nous repartirons. Je suis allé dormir consciencieusement et quand je me suis réveillé ce petit village avait été repris par un groupe de SS qui était là dans la nature c’était pas encore la fin de la guerre. Alors le patron, le Obersturmführer de ce groupe SS, en me convoquant j’ai dit je crois que c’est vous les prisonniers allemands non ? Mais non c’est vous le prisonnier. J’ai dit ah zut assez mauvais mais qu’est-ce que vous allez faire ? Alors il m’a dit vous savez nous on ne fait pas de prisonniers. On les fusille tout de suite. Ah j’ai dit oui ça c’est une réputation que vous avez, mais elle me paraît exagérée vous n’allez pas faire ça à un moment où votre guerre est déjà perdu ça ferait mauvais effet donc confiez moi plutôt à un certains nombre des vôtres et je vais suivre le chemin avec vous on verra bien où on arrivera.

Au début on était cinq et puis d’autres et je leur disais vous savez je peux vous amener vers les Américains et chez les Américains il y a des whisky et des cigarettes alors ils ont dit ah oui ça peut être intéressant et finalement nous sommes arrivés à 14. J’avais par chance retrouvé le lieu où je pensais que les Américains se trouveraient. Et bien il m’ont accueilli très gentiment. Ils m’ont dit mais voilà le French Captain mais quelle chance et vous nous ramenez 14 prisonniers. c’est formidable. Là encore ma guerre s’est terminée par un formidable coup de chance.

00:40:49 : Questions du public : A mon âge, 12 ans, vous vous intéressiez déjà à la politique ?

Oui et non. Je suis arrivé vois-tu comme un petit allemand, à l’âge de 7 ans. 5 ans plus tard, j’étais devenu un élève français, d’une école très intéressante à Paris qui s’appelle l’école Alsacienne. C’est une bonne école, très internationale, où j’étais entouré, y’avait une américaine dont nous étions tous amoureux, la politique était déjà pour moi cette conscience de l’internationalité de la formation. J’étais heureux d’avoir autour de moi, un Russe, un Polonais, une Américaine, un Anglais.

D’une certaine façon, ma vision des choses étaient déjà politiquement celle de l’Internationalisme mais ce n’est que vers l’âge de (1935) à 18 ans que je me suis trouvé pris dans la montée du front populaire en France ou alors il fallait se situer comme étudiant entre ce qui clamait un peu le fascisme c’était des croix de feu et ceux qui au contraire se battait pour les libertés c’était les communistes, les socialistes et je me suis sentie beaucoup plus proche des socialistes je n’ai jamais été attiré par le communisme. Beaucoup de mes amis l’ont été, j’ai toujours considéré que la démocratie, c’est-à-dire l’équilibre entre les différentes forces politique me convenait mieux que le totalitarisme d’une formation. Que ce soit naturellement le totalitarisme nazi auquel je n’ai jamais été sensible je le détestais dès le début mais aussi quelque chose déjà d’un peu stalinien dans mes camarades communistes qui me faisaient peur également. Tu vois voilà comment ma formation politique a été naturellement graduelle . A 12 ans c’était encore tout neuf . Mais dans le monde dans lequel tu es en train de faire ton chemin, plus vite tu comprendras quels sont les vrais défis même à 12 ans, 13 ans, 14 ans, 15 ans, tu comprendras dans quoi tu as envie de t’engager en faisant le départ entre ce qui te paraît négligeable bon, mauvais pas formidable et ce qui te paraît scandaleux et contre quoi tu as envie de te battre et c’est comme ça qu’on devient un homme engagé et je te le souhaite parce que un homme engagé est plus un homme qu’un homme indifférent.

00:44:23 : Ça va peut-être être une question qui fâche c’est par rapport au socialisme d’aujourd’hui. Je voudrais savoir ce que vous en pensez notamment des Strauss-Kahn, du FMI, des Kouchner, qui travaillent pour Sarko etc. Est-ce que vous n’êtes pas un peu déçu ?

J’en pense du mal mais soyons juste, je pense que dans un pays comme la France il n’est pas possible de former un gouvernement qui soit capable de recueillir l’assentiment général de la population si on ne cherche pas à le situer dans un lieu où il peut rassembler.

Je me suis engagé depuis seulement 3 mois dans Europe Écologie parce que il me semblait que mon Parti Socialiste dans lequel je me suis trouvé à l’aise pendant toute ma vie pratiquement j’étais au PSA puis au PSU puis au PS avec toujours le regret qui ne sois pas aussi courageux que je le voudrais qui se laisse engagé par des tests trop libérale mais j’étais quand même dedans. Cette fois je me suis dit il faut le booster il faut lui donner un peu plus de justement d’intrépidité, de courage et même de refus et j’ai pensé que Europe Ecologie avec un type merveilleux comme Daniel Cohn Bendit pour lequel j’ai beaucoup de sympathie et d’amitié c’était une façon qui sera naturellement une façon de travailler avec le parti socialiste, il ne s’agit pas de gouverner autrement qu’en mettant ensemble les socialistes, les communistes, tout la gauche et Europe écologie mais ce petit boost particulier m’a paru utile. C’est dans ce sens que ma critique à l’égard de mes camarades et amis socialiste est une critique non pas venimeuse mais amicale . J’ai beaucoup de sympathie pour Martine Aubry je trouve qu’elle a fait un bon travail pour le Parti socialiste et je lui en suis reconnaissant mais j’aime bien Cécile Duflot et j’aime bien Philippe Mérieux et donc je trouve que nous avons quelque chose à faire ensemble, toute la gauche réunie et toute la gauche réunie pour nous débarrasser enfin des autres.

00:47:27 : Alors c’est pas tout à fait une question j’ai deux suggestions, la prochaine fois qu’on vous accueille je propose qu’on vous accueille avec un extrait de Jules et Jim et en particulier avec l’extrait que vous connaissez sans doute dans la vie un personnage dit La Marseillaise j’aimerais bien que cet extrait où cet acteur allemand qui s’appelle Jules dans le film alors que le français s’appelle Jim c’est intéressant et bien cet allemand Jules chante après la guerre 14-18 dit la Marseillaise au téléphone à son copain et cette façon de dire la Marseillaise est tellement géniale qu’il faudrait conseiller à ces imbéciles qui propose qu’on apprenne la Marseillaise à l’école que faire cette Marseillaise là parce que celle-là elle vaut le coup et elle est dite par un Allemand et à cette époque ça représente quelque chose. Une autre suggestion on a vu l’Affiche rouge j’aime beaucoup cette chanson mais je rappelle il y a un petit fac-similé de la lettre de Manouchian à sa femme et il y a un texte extraordinaire dis par Marc Rougeret que personne n’utilise jamais qui est la lettre qui a inspiré le poème à Aragon et ensuite la chanson mise en musique par Ferré, mais il est extrêmement important de savoir que ce texte existe et je propose à tous ceux qui culturellement parle de la Résistance un jour ou l’autre de mettre à la place de chanter par n’importe qui l’Affiche rouge de mettre ce texte la lettre de Manouchian en exergue parce qu’elle vaut vraiment le coup et sans coupure.

00:49:17 : Effectivement quand on me fait mon portrait qu’on me demande de parler de ma biographie on dit toujours mais la petite fille de Jules et Jim c’est vous n’est-ce pas ? alors je dis non je suis un petit garçon mais il est effectif que mon père qui est Jules l’allemand et Jim le français et il se trouve que la grande passion amoureuse de ma mère a été ce Henri-Pierre Roché l’auteur du roman Jules et Jim qui retrace en effet de façon romancé c’est-à-dire très très différent de la réalité il faut pas croire que ça se soit vraiment passé comme ça sinon ma mère serait morte et Roché serait mort et n’aurait pas pu écrire Jules et Jim or il a survécu et il a écrit. Jeanne Moreau qui a donc joué le personnage de ma mère dans ce film le joue avec un tel professionnalisme une telle force dramatique que ma mère qui a vu le film a écrit une lettre émouvante à Truffaut en lui disant ce film m’est très proche puisqu’il dit l’histoire à peu près telle que je l’ai vécu et une chose avant tout la façon dont Jeanne Moreau m’a représenté est admirable et j’y souscris totalement.

00:51:31 : J’ai été un peu choqué par le parallélisme que vous avez semblé faire entre le nazisme et le communisme réduit au stalinisme. Je pense que l’utopie communiste est autre chose.

00:51:50 : Vous avez tout à fait raison et je serai le dernier à faire une équivalence quelconque entre les deux. Cela dit il faut malheureusement reconnaître qu’après la merveilleuse utopie communiste qui a d’ailleurs joué un rôle énorme par exemple dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui s’est inspirée en partie de certains des thèmes du communisme, il y a eu il faut le reconnaître, une détérioration de ce communisme, sous l’effet de Staline et de certains de ses « Eissmann » [orthographe à vérifier] et que quand nous avons accueilli en France et je m’en souviens comme si j’y étais des premiers dissidents venus de URSS et que nous avons ensuite applaudi à l’action généreuse et courageuse de Gorbatchev, et bien nous sentions qu’il y avait là quelque chose à faire. Il faut malheureusement relire de temps en temps Chalamov : les Récits de la Kolyma, pour savoir que derrière la belle utopie communiste il y a eu des horreurs que nous ne devons pas mettre sur le même plan que les horreurs nazistes parce qu’elles n’ont même pas le même fond idéologique mais qui sont cependant extrêmement déplorable. Voilà ma réponse à votre sympathique question, je vous suis reconnaissant.

00:55:28 : Envers les soldats africains du 25e RTS que se sacrifient pour défendre la ville de Lyon. Ulcéré par leurs bravoure, les Allemands fusillent les survivants, environ 200 hommes, les écrasent avec leur char, et exposent leur dépouille sur la place publique. Estimant que les Noirs ne sont pas des êtres humains, les Allemands refusent que les corps soient enterrés. Une interdiction que bravera un ancien combattant français de la Première Guerre mondiale Jean Marchiani. Il réunit ses économies, rassemble les corps et construit un cimetière pour ses frères d’armes africains. Une Nécropole connu aujourd’hui sous le nom de Tata de Chasselay. En ce même mois de juin 1940 à plusieurs kilomètres de là, l’aviation allemande bombarde un petit village près de Chartres. Il y a beaucoup de morts. Deux officiers allemands vont plus tard trouver le préfet qui n’est autre que Jean Moulin et lui ordonne de signer un document attestant que ce sont en fait les tirailleurs sénégalais qui ont massacré les habitants du village, tué les enfants, et mutilant les femmes après les avoir violées. Jean Moulin naturellement refuse. Il sera pour cela torturé et jeté dans un cachot où il passera la nuit avec un prisonnier noir pieds nus et en manche de chemise dont on ne sera jamais le sort. Comme nous connaissons maintenant votre amour pour les nègres, lui lançant ironiquement le SS, nous avons pensé vous faire plaisir en vous permettant de coucher avec l’un d’entre eux. Les nazis détestent par-dessus tout les noirs qui font partis de la résistance.

2010 / Vaulx-en-Velin / Renault Trucks

  • Date du témoignage : 15/03/2010.
  • Contexte : Intervention de Stéphane Hessel devant des employés de Renault Trucks, introduite par Roland Beaulaygue (alors président de l'AFMD du Rhône).
  • Source : AFMD du Rhône (publication le )
  • Date d'ajout à la base : 03/03/2023
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Ceci est la transcription brute de la vidéo de l’intervention de Stéphane Hessel avec Roland Beaulaygue (alors président de l’AFMD du Rhône), sans coupe, sans montage.

Cassette 1

00:00:00 : Repas tous ensemble avec Stéphane Hessel.

00:00:46 : Plan sur la table avec les livres qui ont pour thématique la Résistance et la Déportation.

00:02:35 : Plan d’ensemble sur le repas puis gros plan panoramique sur les personnes.

Stéphane Hessel :

00:04:05 : Vous parlez allemand ? Oui, moi je parlais très bien allemand puisque c’est ma langue de naissance, je suis né allemand.

Roland Beaulaygue :

00:04:45 : Vous parlez français, allemand et anglais je suppose ?

Stéphane Hessel :

Oui. Et c’est mes 3 langues de poésie. J’aime réciter des poèmes anglais, allemands et français.

00:05:04 : Mais pour en revenir à mes multiples évasions, quand ça s’est terminé, que Dora a été évacué par train en direction de Bergen Belsen, moi j’ai dit faut pas rester dans ce train, c’est dangereux, on sait pas où on va aller. Nous étions 5 français, copains, et on s’est dit on saute à la 1ère occasion. On arrive dans une gare à Lunegarde, je dis là il faut sauter, je saute. Bêtement ya des coups de feux qui retentissent, pas sur moi mes camarades se sont dits Aïe, aïe, aïe, on a tiré sur lui, on a pas du tout tiré sur moi mais j’ai été finalement le seul à sauter. Les autres sont restés. Moi j’ai réussi à me faufiler, j’ai traversé l’Allemagne à pied, en voiture, avec des aides d’ouvriers, polonais, français. J’suis arrivé à Hanovre. Alors je tombe sur l’Armée Américaine qui me reçoit, qui me dises vous êtes qui vous ? J’suis un français, j’ai travaillé avec le Général de Gaulle, alors attention on va vous nourrir un peu parce que vous devez mourir de faim. Je dis oui mais allons y doucement parce que faut pas manger trop vite quand on a longtemps crevé de faim. Et je dis je vais continuer à me battre. L’Armée Américaine, je veux la suivre. Je me suis engagé dans une petite unité américaine, j’ai continué de Hanovre à marcher en direction de Berlin. Un soir on arrive dans un petit village, on fait pause, moi je m’endors, le lendemain je me réveille, le petit village avait été repris par les SS. Manque de pot. Alors je trouve le commandant SS, je lui parle allemand car c’était la seule manière de s’entendre. Et il me dit vous savez nous les SS on fait pas de prisonniers on fusille tout de suite. Je crois que c’est une réputation très exagérée. Vous allez pas faire ça maintenant que vous avez déjà perdu la guerre. Laissez moi plutôt marcher avec vous un temps. Alors il m’a confié à 4 de ses types, puis 4 ils sont devenus 10, et puis ils étaient 12, et je leur ai dit allez je vous ramène chez les Américains, parce qu’il y a du Whisky, c’est meilleur, et ils m’ont suivi et j’ai fait 14 prisonniers. Alors quand le commandant Américain, qui m’avait laissé tomber m’a vu arrivé avec 14 prisonniers, ça, ça l’a épaté. Alors là il m’a donné un petit texte que je garde précieusement, où il parle du capitaine Hessel, ça a été ma dernière évasion. Depuis je ne me suis plus jamais évadé.

Roland Beaulaygue :

00:08:15 : Si en rêve, vous pouvez toujours vous évader en rêve…

Continuation du repas.

00:09:44 : Installation du public.

00:10:17 : Le public consulte les livres posés sur la table

00:10:35 : Présentation de la conférence.

Stéphane Hessel :

00:11:37 : Vous avez affaire à un vieux type, 92 ans, qui apporte une expérience, qui a une longue vie derrière lui, et dans cette vie ce qu’il retient surtout pour parler avec vous, c’est une succession de moments, où des problèmes importants, des problèmes qui nous concernent tous, des problèmes de l’évolution économiques, de l’évolution sociale, se sont posés. Bien entendu, mon âge fait que j’ai participé, comme beaucoup de mes compatriotes, au Front Populaire, les années 36, 37, Léon Blum au pouvoir, Boris et Mendès-France, déjà dans l’action, c’est une période très importante où pour la 1ère fois me semble t-il, dans le courant de la 3ème République, on a vraiment mis au premier plan, les valeurs qui sont ceux des salariés, des travailleurs, face à la féodalité économique, le mur d’argent et autres…et cette période qui n’a malheureusement pas duré, qui n’a pas réussi à transformer la société bourgeoise, a très vite débouché sur la guerre. La Grande Guerre a été une période, où pour la 1ère fois, se sont révélés face à face, des valeurs réactionnaires, celles du Gouvernement de Vichy, et des valeurs progressistes, et contestataires de l’ordre bourgeois, ceux de la Résistance. Naturellement, il y a eu également ceux qui se sont battus, j’ai eu la chance de rejoindre le Général de Gaulle à Londres et de me trouver dans l’aviation française libre, puis dans une mission en France, qui s’est mal terminé pour moi, puisque j’ai été arrêté par la Gestapo, et déporté à Buchenwald et Dora, mais ce que je voudrai insister aujourd’hui, pour en discuter avec vous, c’est que la Résistance n’a pas été neutre en matières de problèmes économiques et sociaux puisqu’avec l’effort formidable fait par Jean Moulin, on a réussi à réunir en 1943 un Conseil National de la Résistance qui regroupait toutes les formations résistantes, politiques, de gauche, d’extrême gauche, de Centre et même de droite patriotique. Et ils ont mis au point un programme, le programme du Conseil National de la Résistance qui marque lui aussi une étape puisque ces hommes et ces femmes, y’avait des femmes importantes dans la Résistance, ils ont essayé de dire ce qu’ils attendaient que la France soit après la Libération, très intéressant, parce qu’ils avaient derrière eux, l’expérience de la 3ème République, et y compris du Front Populaire, mais ils avaient l’impression que ça n’avait pas abouti puisqu’on était arrivé à cette horrible histoire, de la défaite française et donc ils disaient il faut faire autre chose après la Libération. Et cette autre chose, ils l’ont défini dans ce programme dont on a heureusement gardé les textes et le souvenir. Ce programme disait très fortement, la nécessité de déboucher après la guerre sur une démocratie sociale où les libertés fondamentales et civiques, politiques, devaient être préservées, mais où les problèmes économiques et sociaux, devaient être traités avec en particulier une Résistance à l’excessive embrigadement par les féodalités économiques.

00:16:28 : qu’est ce que c’est que la féodalité économique ? C’est une définition large dont il est intéressant de voir ce qu’elle est devenue, et comment elle existe peut-être encore aujourd’hui et comment il est essentiel de pouvoir y résister. De même que l’on disait dans ce programme qu’il faut absolument préserver l’indépendance de la presse et des médias, et là aussi on peut se demander si cette mise en garde n’est pas encore valable aujourd’hui.

00:17:06 : pour moi, qui était à l’époque, à Londres, puis en déportation, ce texte est resté pour moi un guide. Et je suis content qu’on en reparle quelque fois, et qu’on puisse en discuter les valeurs.

00:17:21 : [caméra qui bouge] … sortie de cette épouvantable période de la guerre, de la déportation, d’une résistance qui a été massacré par les allemands, avec d’ailleurs comme autre personne massacrée, la Résistance allemande elle-même, n’oublions pas que les allemands ont essayé de lutter contre Hitler, mais ils ont échoué pour une raison que je rappelle toujours, c’est parce que à gauche, ils ne s’étaient pas suffisamment rassemblés, ils s ‘étaient combattus entre les communistes et les socio-démocrates, il n’y a pas eu l’accord nécessaire et le résultat c’est que les nazis l’ont emporté facilement même dans les élections. C’est-à-dire que c’est de façon électorale qu’ils ont pris le pouvoir en Allemagne et qu’ils ont ensuite massacré gravement ceux qui s’étaient opposés à cette prise de pouvoir de l’Adolf Hitler.

00:18:28 : La guerre se termine. Qu’est-ce qu’on fait ? On fait une chose extraordinairement importante et je vous demande d’y penser avec une particulière attention. On a réussi à créer l’Organisation des Nations Unies. C’est pour la 1ère fois dans l’Histoire du monde, une organisation fondée sur une Charte, la Charte de San Francisco, adoptée le 24 juin 1945, et qu’il fonde sur des valeurs humaines, tout à fait fondamentales, un nouveau monde. Ce sont les valeurs des droits de la personne humaine, de la dignité de la personne humaine.

00:19:25 : J’ai eu la chance de participer à leurs élaborations. Dans la Charte, c’était 4 paragraphes, mais au cours des 3 années qui ont suivis, entre 1945 et 1948, on a rédigé un texte, qui s’appelle la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et dans laquelle figure, les droits sociaux, le droit au logement, le droit à la santé, le droit à la scolarisation les droits économiques, les droits à la Sécurité Sociale, les droits culturels, le droit aux loisirs et à la Culture, mais également les grands termes fondamentaux qui définissent la Démocratie Moderne tel que à cette époque on a essayé de l’élaborer. Ce texte qu’il faut de temps en temps re-feuilleter, il ne comporte que 30 articles, c’est pas très long, un très beau préambule, ce texte a été en large partie rédigé par un de nos compatriotes, René Cassin qui a été non seulement l’un des principaux collaborateurs juridiques du Général de Gaulle, mais par la suite l’un des principaux rédacteurs de cette Déclaration, et c’est à lui que nous devons l’adjectif qui figure dans cette Déclaration, l’adjectif « Universelle ». De tous les textes adoptés, jamais par des conférences internationales, c’est le seul, qui comporte l’adjectif « Universelle ». Et ça veut dire qu’à l’époque nous étions convaincus, et nous avons réussi à convaincre tous ceux qui ont participé à ce travail, que ces droits s’appliquent universellement, à tous les peuples, à toutes les femmes, à tous les hommes, à tous les enfants du monde. Et que ceux qui les violent, et nous savons que ces droits ont été gravement violés tout au long du dernier demi-siècle, ceux qui les violent s’exposent, à ce que leur citoyen, leur peuple, revendiquent ces droits, et protestent contre les violations qui leur sont apportées. Voyez-vous, j’insiste là dessus parce que cela veut dire, que nous déjà, et les générations qui suivent, ont une responsabilité, ils ne peuvent pas laisser faire des violations des droits, et il y en a beaucoup partout, il y en a beaucoup dans le monde, il y en a malheureusement aussi en France même, et en Europe, et ces violations des droits fondamentaux et des droits universels, sont quelque chose contre quoi, nous avons intérêt à nous organiser, pour protester. C’est ça qui fait la vitalité de la démocratie.

00:22:56 : Nous sommes aujourd’hui au lendemain d’une élection, elle n’était certes que régionale, c’était une occasion, et beaucoup d’entre nous, ont essayé de s’en servir, une occasion pour réaffirmer, les droits qui ne soient pas portés atteintes. Nous avons pensé et une majorité des électeurs l’ont clairement dits, que la façon dont notre pays était actuellement gouverné ne correspondait pas à cette revendication de droits fondamentaux qui sont ceux pour lesquels nous nous nous sommes battus. Nous les Résistants, nous les déportés, nous les plus anciens qui sont là devant vous, et ce sont des droits qu’il est indispensable de ne pas perdre de vue, car sans ces droits, le risque existe. Et ce risque je voudrai essayer rapidement de le définir pour vous. Le risque n’est plus seulement ce que la Résistance disait dans son programme du Conseil National, c’est-à-dire l’emprise des féodalités économiques. Maintenant ce ne sont plus seulement des féodalités, c’est tout un courant extrêmement dangereux, de financiarisation de l’économie, qui fait qu’au lieu de s’intéresser à la vie des travailleurs et à l’évolution des salaires et à la distribution des richesses de la planète, on continue à accaparer, à chercher le seul profit, à faire de ceux qui utilisent ce profit pour s’enrichir encore davantage les maîtres de l’économie, c’est donc là une situation extrêmement grave, et contre lesquels il faut essayer de trouver de véritables solutions.

00:25:17 : Mais un autre défi est apparu auquel nous n’avions pas pensé, lorsque nous avons travaillé, j’y étais à l’époque à New York, sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Nous n’avons pas pensé à la Terre, nous n’avons pas pensé à ce qu’on appelle aujourd’hui l’environnement ou l’écologie, la façon dont les ressources de la planète sont utilisées de façon prédatrices et dangereuses, par les forces économiques et le danger que nous courrons par là, de voir un jour ces ressources, ne plus être suffisantes pour tout le monde, avec une humanité qui est passée en un siècle, de 2 milliards à 6 milliards, ça fait une drôle de progression, et qui par conséquent, ne peux plus, gaspiller, comme nous l’avons fait, les ressources de la Terre, cela veut dire que nous avons là aussi, quelque chose de neuf, à quoi les résistants ne réfléchissaient pas, c’était pas encore présent à leur esprit, à quoi même la Déclaration Universelle, n’apporte pas sa préoccupation, mais qui aujourd’hui représente probablement, une des dimensions pour la lutte de la justice sociale, la plus importante et la plus risquée en même temps. Si on y prend pas garde suffisamment tôt, fort, nous courrons le risque de voir cette planète, qui est finalement le seul lieu où l’humanité peut se développer, n’être plus suffisante, pour faire face aux besoins d’une humanité de plus en plus nombreuse et de plus en plus exigeante.

00:27:31 : [Mise au point lumière] … pour la 1ère fois de sa longue vie, à décider de figurer, sur une liste électorale, celle d’Europe Ecologie, parce qu’elle me paraît correspondre à nos principales préoccupations de l’heure. Sur Europe Ecologie, je me suis trouvé en position non éligible rassurez-vous, dernier de la liste, sur la liste de Paris, je me suis propulsé à droite et à gauche, pour dire c’est liste là qui devrait recevoir le soutien le plus courageux, parce que c’est une liste qui est à gauche, qui est tout proche de la liste socialiste, et de la liste communiste, celle du Front de Gauche, mais qui lui apporte me semble t-il, une volonté de pousser aussi loin que possible l’impertinence. Il faut savoir être impertinent dans un monde lourd de sa globalité. J’ai donc été sur cette liste, hier cette liste a fait quand même à Paris, où j’étais, plus de 16%, j’suis assez content, assez fier, et sur l’ensemble du pays elle a fait plus de 12%, on va s’allier au 2ème tour, bien entendu avec nos amis socialiste mais on va essayer de les booster un peu pour qu’ils soient plus courageux encore qu’ils n’ont été dans le passé, et c’est ça qui me fait aujourd’hui un grand plaisir.

Remerciements aux organisateurs.

00:30:10 : Question du public : Est-ce que vous pensez pas qu’il y a une sorte d’incohérence à vouloir faire de l’écologie ou de l’environnemental sans remettre en question le pouvoir économique des gros capitalistes ou de la grande bourgeoisie, les Arnauds, Boloré, La Gardère, les vendeurs d’armes et tout ça ? Tant que le pouvoir reste entre leur main à eux, je dirai que c’est pas eux qui vont faire de l’écologie ou pas dans les proportions où il faudrait.

00:30:42 : Vous avez tout à fait raison et c’est pour ça qu’à mon avis, la lutte pour une meilleure répartition des ressources qui est en somme l’idée de l’écologie, la lutte pour un meilleur soin pris des ressources de la Terre, ne peux pas se distinguer d’une lutte contre le pouvoir excessif de ceux qui recherchent tout naturellement le profit. Disons si vous voulez, historiquement, il est vrai que les grandes entreprises internationales, multinationales, ou nationales, ont été mu par un courant très simple, il faut gagner plus que les autres, faire du profit, et quand on a fait beaucoup de profit, il faut utiliser ce bon coup de profit pour en faire plus encore, cette ligne là, qui fait aussi que les grandes entreprises, Bouygues, Télécom etc. se trouvent en concurrence les unes avec les autres internationalement, et en tirant encore plus sur les ressources disponibles, ça, ça ne peut pas marcher. Et c’est en contradiction direct avec ce soucis de l’environnement et de l’écologie.

32:10 : En même temps ce soucis de l’environnement et de l’écologie ne peux pas se dissocier non plus d’une idée de justice sociale, de l’effort pour s’apercevoir, que l’écart n’a jamais été si grand, entre ceux qui ont rien et ceux qui ont presque tout, que ce n’est le cas aujourd’hui. Cette élargissement de l’écart, qu’il y a toujours eu dans le monde des riches et des pauvres, mais il n’y a jamais eu autant que maintenant des supers supers riches et des supers supers pauvres. Donc la volonté de lutter pour l’environnement ne peut pas se dissocier de lutter contre l’injustice sociale. Il faut réunir ces 2 éléments, et regarder ce qui peut scandaliser les jeunes.

00:33:30 : Pour les jeunes surtout je dirai qu’est-ce qu’ils ont devant eux ? Quels sont les véritables défis qu’ils voient ?

00:33:50 : Parmi les grands défis, je vois celui de la Terre, celui de l’injustice sociale, j’en vois un 3ème lié à la subsistance de beaucoup de violence. Il y a encore à travers le monde, beaucoup de combat, de violence, quelquefois de violence brutale. Je pense en ce moment parce que j’y suis particulièrement attaché, à la violence faite aux palestiniens par les israéliens, il y a là une horrible façon d’exercer sa supériorité militaire, sur un peuple en l’empêchant d’avoir un État, mais ce ne sont pas les seuls. Et cette violence, je l’attribue à quelque chose de grave, qui est la montée du communautarisme. La démocratie est la négation du communautarisme. La France, liberté, égalité, fraternité, laïcité, dit : ya pas de communauté en France, nous sommes tous des français, nous n’avons pas besoin de nous demander quelle est notre identité nationale, nous savons que notre identité est une identité multi-communautaire, nous avons chez nous des musulmans, des juifs, des chrétiens, des athées, et tout ça pour pouvoir vivre ensemble. Et nous apercevons que des crispations se font. Et ces crispations me font peur. Je ne voudrai pas que sous prétexte qu’ils se sentent mal à l’aise dans tel ou tel quartier, nous voyons soit des juifs qui se mettent à devenir une communauté juive, revendicative, soit des musulmans, devenons la base d’un islamiste revendicatif à l’égard de l’Occident, c’est très dangereux et y’en a aussi parmi les Chrétiens, notamment aux États-Unis, c’est aussi des communautaristes violents. Il faut aussi lutter contre cela et pour lutter contre cela il faut éviter tout ce qui peut apparaître comme un antisémitisme, un anti-islamisme, il faut vivre ensemble et avec, c’est notre vieille tradition, mais cette tradition n’est pas aussi respectée aujourd’hui, que je le souhaiterai, elle n’est pas respectée du tout dans certains pays du monde où il y a des poussées extrémistes dangereuses. Elle est encore moins mise en question, dans notre pays, heureusement, mais il faut veiller à ne pas la laisser apparaître, et à lui tordre le cou dès qu’elle apparaît en disant nous ne voulons pas de ça, nous voulons vivre ensemble, s’aimant les uns les autres, bénéficiant de la multiplicité de leur culture et de leur religion, mais en ne pas s’enfermant pas dans des ghettos à l’égard les uns des autres.

00:37:40 : Question du public : Vous avez dit tout à l’heure qu’il fallait être impertinent aujourd’hui, est-ce qu’il fallait être impertinent en 39 pour entrer dans la Résistance ?

00:37:50 : En effet, j’insiste avec plaisir sur ce mot un peu étrange. L’impertinence. Quand on est un haut fonctionnaire, ce qui est mon cas, ambassadeur de France, ça veut dire qu’on a un long passé dans la fonction publique, il faudrait donc être un fonctionnaire discipliné. Et bien, non. Je crois que la discipline est certes, une vertu mais elle n’est pas suffisante. Il faut pouvoir lorsque quelque chose vous choque, il faut pouvoir le dénoncer. Quitte même à perdre par là une possibilité d’avancement ou une possibilité de reconnaissance. L’impertinence pour moi signifie que les pouvoirs établis, qu’ils soient politiques, économiques, culturels ne doivent pas être pris comme définitivement valables, et comme ne pouvant pas être contestés. Il faut savoir contester et c’est ce que requiert une certaine impertinence, ce qui vous paraît non acceptable. Et je fais toujours une différence, entre le légal et le légitime. Il me semble que chacun de nous a en lui une conscience de certaines valeurs qui lui paraissent essentielles. Lorsque son gouvernement démocratiquement élu, et auquel on doit donc un certains respect, lorsqu’ils s’amusent à édicter des lois, qui paraissent aller à l’encontre de ces valeurs fondamentales, il doit pouvoir faire surgir la légitimité, à l’encontre de la légalité. Nous avons vécu cela bien entendu dans des situations bien dramatiques comme Vichy, pendant la guerre, où la légalité de Vichy était en contradiction avec la vieille légitimité républicaine. Et là il était tout à fait naturel, que les résistants proclament leur attachement à la légitimité des valeurs, et le refus de la légalité qu’on essayait de leur imposer. Es-ce que nous en sommes complètement débarrassé aujourd’hui ? Je n’en suis pas sûr. Je mets en faites, que dans le gouvernement qui est le nôtre actuellement, il y a des légalités qui ne me paraissent pas légitimes. Et je pense que nous avons droit à cet égard, à une impertinence, qui consiste à dénoncer ce qui nous apparaît comme non conforme aux valeurs fondamentales, éthiques et politiques sur lesquelles nous essayons de fonder notre vie.

00:41:30 : Question du public : Par rapport à ce qui se passe actuellement, notamment sur la confiance de nos hommes politiques, avec ce qui se passe avec l’écologie, ça fait bientôt 30 ans que c’est un phénomène qui monte, on risque pas d’aller vers une dérive qui nous emmènera au populisme.

00:41:52 : C’est une question importante et délicate. Le populisme est probablement la seule façon grâce à laquelle des gens, qui n’ont pas des valeurs profondes à leur actif, mais qui ont le goût du pouvoir, peuvent jouer sur des cartes, des ressorts, de l’âme individuelle. Prenons par exemple cette préoccupation fondamentale de la sécurité. Alors on peut faire peur avec la sécurité, à de vastes couches populaires, qui se disent Oulala ! si je ne vote pas pour ce type qui m’assure la sécurité, je vais être entourée de délinquants, de gens qui viennent d’on ne sait où, qui sont dangereux pour moi, ce dirigeant peut s’acquérir une sorte de force populaire, populiste justement, qui ne se fondent pas sur une réflexion approfondie, de ce qui est véritablement, juste, valable, acceptable pour tous etc.

00:43:07 : Je crois que nous sommes menacés par le populisme, un peu partout dans le monde, à cause aussi de l’extraordinaire prolifération des moyens de communication : télévision, et web tout ce qui s’en suit, auquel je ne comprends rien mais mes enfants, mes petits-enfants, et bientôt mes arrières petits-enfants vont pianoter sur tout ça, et ça fait une capacité de diffuser, des idées, des slogans, qui peut être extrêmement dangereuse si elle n’est pas accès sur une formation critique de l’esprit. Donc la formation de l’esprit critique, qui a été la grande force de notre pays, l’évolution de l’esprit critique, a donné à la France un rôle assez particulier, que j’aimerai bien qu’elle conserve. Donc vous avez raison, il faut se dire que une des formules dont nous avons hérité valeureusement depuis 1961, c’est-à-dire l’élection du président de la République au suffrage universel. Je me souviens que l’homme avec lequel j’ai travaillé quelques mois avec le plus de satisfaction, nous disait l’élection du président au suffrage universel, c’est pas bon pour la France, il vaudrait mieux que nous ayons un vrai régime parlementaire, un peu comme le régime britannique. Donc ma réponse, c’est oui, attention au populisme, attention à une élection fondée sur des slogans, faire peur à des gens sur des choses, et essayons de résister à cela.

00:45:09 : Question du public : Vous évoquez tout à l’heure la création de l’O.N.U. après la 2ème Guerre Mondiale, je voudrai savoir quel regard vous portez aujourd’hui sur le fonctionnement de l’O.N.U sur l’efficacité ou son inefficacité, vis-à-vis de tous les conflits qu’il y a actuellement dans le monde, que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie ou même en Europe…

00:45:31 : Constatons comme vous le faites vous-même, que l’O. N.U. n’a pas réussi à être maître d’un grand nombre de situations dans le monde, que nous pouvons énumérer, elle n’a pas réussi à être maîtresse. A quoi cela tient-il ? Je crois qu’il faut se souvenir, évidemment moi qui ait passé une bonne partie de ma vie à travailler à l’intérieur des Nations Unies, j’ai un point de vue peut-être un peu trop privilégié à cet égard. Il faut se souvenir que les Nations-Unies sont un instrument au service des États Membres. C’est à dire il n’existe pas quelque part une force de l’O.N.U. autre chose que ces textes fondateurs, le fait qu’il existe un secrétaire général, qui est censé garder le soucis de ces textes fondateurs. Mais pour ce qui est de leur application, ce n’est que les États membres qui ont la capacité d’appliquer ou de ne pas appliquer. Commençons par dire, et je le dis avec insistance, que beaucoup de choses ont été accomplis grâce à l’Organisation des Nations-Unis. Dans tous les domaines autre que les conflits paix et guerre, les Nations Unies ont fait progressé une capacité des nations à se développer […].

00:48:57 : Le Conseil de Sécurité, crée en 1945. Il y avait face à face de grandes forces qui n’avaient pas les mêmes valeurs fondamentales. Nous avions l’Union Soviétique qui avait gagné la guerre. Ils avaient tout le droit à être reconnu comme une grande force, il avait une idéologie totalitaire et y’avait de l’autre côté les démocraties, capitalistes, qui avaient aussi leur valeurs. Fallait mettre tout ça ensemble.

00:50:11 : Et on avait dit ces 5 là il faut leur donner quelque chose pour qu’ils acceptent de travailler ensemble.

00:50:32 : On a donc fait un texte intéressant qui dit les 5 membres permanents de ce conseil peuvent se s’opposer à une décision. Ils ont la règle de l’unanimité des 5, le véto des 5. Ce véto a joué un rôle de blocage. Chaque fois qu’il y avait conflit, ils pouvaient empêcher une action efficace.

00:51:14 : Est-ce que nous allons pouvoir surmonter cela ? Personnellement je crois que oui.

Les Américains ne peuvent pas jouer seul la partie […] On est dans un état d’équilibre instable. On sait maintenant qu’on peut plus régler les problèmes sans la Chine. Nous sommes devant une réforme possible de l’Organisation des Nations-Unies […].

00:52:14 : Si on voulait aujourd’hui avec 192 états membres reconstituer quelque chose que nous avons essayé de mettre sur pied il y a maintenant 65 ans, on y arriverai pas. Profitons encore ce que les 192 états acceptent encore, la Charte des Nations-Unies, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui viennent tous les ans s’installer à New-York, dans les grandes salles, et travailler ensemble, c’est formidable.

00:53:55 : Ce serait le rôle de l’Europe de jouer là-dessus un rôle majeur […].

00:54:25 : Si elle [la France] construit avec ses partenaires Européens, une Europe politiquement visionnaire, et juridiquement établie sur ses valeurs, alors elle peut-être un élément décisif, dans la façon dont les société humaines [fin inaudible].

00:55:00 : Question du public : Le capitalisme est-il réformable ?

00:55:08 : Si nous arrivions à la conclusion qu’il n’est pas réformable, même quand il est contesté, il se débrouille pour intégrer ceux qui le conteste, et les amener à devenir ses partisans. Si nous pensons ça, nous abandonnons l’espoir d’un monde pacifié et juste. Je crois que c’est un espoir que nous n’avons pas le droit d’abandonner. Il est essentiel de trouver une réforme du fonctionnement de l’économie de marché, utilisant certaines formes d’investissement capitalistique, mais en les intégrant à une économie de justice sociale. Est-ce que c’est chimérique ? Je ne le crois pas.

00:56:14: Je dirai que ce que nous venons de vivre, dans ces 3 dernières années, montre au moins une chose, c’est que le capitalisme tel qu’il fonctionne aujourd’hui va dans le mur. Et je pense que même les capitaliste intelligents, y’en a, s’en rendent compte, et se sentent obligés de réfléchir au fonctionnement fondamental de ce système. Mais ils ne sont pas les seuls à réfléchir. Les citoyens eux-mêmes, ont le droit et même le devoir, de réfléchir et il y a des formes de contestation de fonctionnement capitalistique qui peuvent avoir des effets.

00:57:00 : Je vous rappelle ce qui s’est passé à Seattle il y a quelques années, il y a le moyen de mobiliser les hommes et les femmes des différentes régions du monde dans un soucis de faire pièce à la financiarisation de l’économie mondiale, et de donner à cet effort une nouvelle orientation.

00:57:31 : Je pense par exemple que le développement de ce que l’on appelle l’économie sociale et solidaire, c’est à dire tout ce que l’on peut faire en économie sans avoir recours au profit, par la simple solidarité et l’échange des services et des marchandises […].

00:58:00 : Il y a à mon avis une stratégie pour s’échapper à l’emprise du capitalisme mais il faut connaître ses adversaires, connaître leur ruse, leur pouvoir manipulateur, pour pouvoir le déjouer et je compte sur chacune et chacun d’entre vous pour réfléchir à la manière de déjouer le capitalisme dans ce qu’il a d’insupportable pour notre société.

00:59:20 : Dans ce travail historiquement, 2 hommes ont joué un rôle conjoint c’est Jean Moulin et le Général de Gaulle. Jean Moulin se donnait le rôle de rallier la Résistance au Général de Gaulle. Et le Général de Gaulle se donnait pour rôle de donner à la Résistance un moyen de se rassembler, pour lui donner à lui la force, de réagir contre l’Emprise excessive que pouvait avoir sur la France, les États-Unis et la Grande Bretagne. Donc ça a été un moment historique très particulier.

01:00:00 : Nous avions en face de nous un Général qui avait peu à peu développé une doctrine démocratique, il ne l’avait peut-être pas porté en lui au moment où il a lancé son appel mais au fur et à mesure que se rapprochait de lui des hommes comme Christian Pinot, André Philippe. Il a compris et comme René Cassin, qui était près de lui dès le début, il a compris que la France qu’il s’agissait de faire vivre après la Libération, devait être une France fondée sur les valeurs traditionnelles de la démocratie sociale. Il est devenu pour cela un porteur des idées de gauche, et pas du tout des idées de droite, alors que à l’origine, il aurait été tenté peut-être plus par les unes que par les autres. Cette évolution de la pensée du Général l’a amené aussi à donner à Jean Moulin une mission très spécifique. Il faut maintenant que j’ai toute ma force vis-à-vis de mes alliés anglais et américains. Il faut que la Résistance toute entière, se rallie à moi et me considère comme celui qui va mener la France vers sa liberté après la guerre. A cela Jean Moulin a accordé une importance capitale, puisque c’est lui qui a réussi à faire travailler ensemble d’abord au sein du comité Général d’étude, puis au sein du Conseil National de la Résistance, les différentes composantes de la France politique de l’époque. C’est-à-dire les syndicats très important, le parti socialiste, très important, les mouvements de résistances dont les uns étaient très proches des communistes, comme les Francs-tireurs et partisans, les autres étaient plus proches d’une France plus traditionnelle comme ceux de la Résistance et ceux de la Libération. Mais à les faire tous travailler ensemble et à leur obtenir d’eux qu’ils analysent un texte le programme du CNR [Conseil National de la Résistance]. Ils ont fait chacun des concessions, c’est comme ça qu’on avance dans la politique, les uns ont laissé tombé une partie de leur idéologie d’extrême gauche, les autres de leur attachement à certaines traditions religieuses et ils ont en fait un ensemble qui a été accepté comme représentant en gros, la Résistance. Alors pour faire de la Résistance un tout, vous imaginez combien c’était difficile. Ces gens se connaissaient mais mal, c’était fréquenté mais peu, avaient été exposé au même risque, c’est probablement ce qui les a le plus rapproché. Et exposé à ces risques ils se sont dits ya qu’un type qui peut nous aider à en sortir c’est De Gaulle, il est là-bas à Londres, il est loin de nous, il peut nous comprendre, donc regroupons nous pour lui apporter conjointement notre soutien. Imposons lui un certains nombre de valeurs qui sont les nôtres. C’est ce dialogue entre les valeurs de la Résistance dans leur diversité mais avec une certaine unité démocratique fondamentale et l’homme qui pouvait porter ces valeurs vis-à-vis des alliés, c’est grâce à cela qu’il y a eu me semble-t-il cette unité porteuse d’une vision qui a été le CNR et son programme.

Cassette 2

00:00:00 : Question du public : Comment vous avez vécu au sortir de la guerre les guerres de décolonisation de l’Algérie.

Alors je vous dirai tout de suite que j’ai eu cette chance exceptionnelle, tout de suite au sortir de la guerre et après avoir vécu à la fois la France combattante, les camps de concentration etc. Tout de suite au sortir je me suis fait recruter par l’Organisation des Nations Unies et je me suis trouvé à New York au sein de cette nouvelle organisation. Et j’ai très vite compris que cette organisation était porteuse de valeur comme celle de la Déclaration universelle et parmi ces valeurs il y avait l’inacceptabilité de la colonisation car si on relit la Charte des Nations Unies il y porte à l’évidence le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’égalité de tous les hommes donc l’incapacité à soumettre un peuple à la volonté d’un autre, tout ça figurait pour moi dans ce que j’avais appris au Nations Unies. Ce que j’avais appris aussi à formuler. Du même coup dans la mesure où je me trouvais quand-même comme français dans l’administration française, à divers moments de ma vie, j’ai été de ce qui tout de suite ont compris que l’Empire français était un élément du passé et qu’il fallait en sortir. J’ai commencé à trouver très bien que le général de Gaulle à Brazzaville ait proclamé que la colonisation n’était qu’une façon de faire accéder peu à peu les peuples à l’indépendance mais j’ai compris plus tard que c’était une mauvaise façon de poser le problème et qu’il fallait être beaucoup plus intransigeant et beaucoup plus rapide.

J’ai été donc de ceux qui très vite ont pensé que vis-à-vis de l’Algérie par exemple nous avions laissé passer la possibilité d’un accord entre le peuple Algérien et les Français qui s’y trouvaient cet accord aurait peut-être été possible immédiatement après la guerre mais comme il y a eu Sétif c’est devenu impossible et j’étais de ceux qui était convaincu qu’il fallait aller à l’indépendance de l’Algérie.

Dans le cercle auquel je me suis beaucoup consacré que nous avons appelé comme par hasard le club Jean Moulin nous luttions pour que soit reconnu l’indépendance algérienne. De sorte que si vous voulez le problème de la décolonisation je l’ai vécu au moins dans deux instances je l’ai vécu au Vietnam où j’ai été en poste tout de suite après Diên Biên Phu et à un moment où les Américains prenait la place des Français mais pour autant ne libéraient pas encore le Vietnam. Et j’étais parti de ceux qui ont constitué je vous raconte pour parler aussi d’aujourd’hui, ça c’est appelé le tribunal Russell sur le Vietnam. Qu’est-ce que c’est que cette bête là ? Bertrand Russell était un humaniste britannique de bonne réputation et Jean-Paul Sartre avaient trouvé utile de réunir des gens qui n’avait aucun pouvoir juridictionnel, qui ne pouvaient pas jeter, condamner des gens comme le fait la justice mais qui voulait appeler l’intérêt des peuples sur une situation qui paraissait juridiquement inacceptable et qui était la prolongation de la guerre du Vietnam. Alors le tribunal Russel pour le Vietnam a siégé à l’époque dès la fin des années 70.

Et aujourd’hui je suis membre d’un nouveau tribunal Russell qui s’appelle maintenant tribunal Russell pour la Palestine et qui essaye d’animer des rencontres, une qui s’est déroulée le 1er, 2 et 3 mars, c’est-à-dire la semaine avant dernière à Barcelone et où nous avons énuméré les violations dont s’était rendu coupable non pas seulement l’État d’Israël mais aussi l’Union Européenne en ne pas sanctionnant ce qu’ils auraient dû sanctionner les violations portées par l’État d’Israël et donc par eux-mêmes au droit fondamental de l’homme.

00:05:30 : Comment j’ai ressenti cela ? Et bien je ressens cela comme la nécessité de mobiliser les hommes de conscience et de devoir quel que soit leur appartenance à un pays ou à un mouvement politique pour porter, faire là où ces violations insupportables des droits de l’homme apparait.

00:06:17 : Question du public (peu audible) : Comment vous la situer aujourd’hui cette Europe ? Est-ce qu’elle se construit bien ? Comment vous la voyez demain ?

00:07:26 : C’est en effet si vous voulez ma préoccupation politique probablement la plus forte, construire l’Europe, elle n’est pas encore solide et lui donner un rôle un peu clair dans le développement de la société mondiale. D’abord construire l’Europe. On a fait d’énormes progrès faut le reconnaître . Il faut reconnaître que si il y a 50 ans on avait dit que les 27 pays qui composent l’Europe d’Est, du centre, de l’Ouest, du Sud et de la Méditerranée aurait pu s’entendre sur un traité même si ce traité est imparfait. C’est quand même un formidable progrès dans le fonctionnement. Et le fonctionnement de l’économie européenne elle aussi a fait d’incontestables progrès. Mais naturellement insuffisant. Insuffisant pour moi sur 3 plans.

Le premier plan c’est que nous n’avons toujours pas une vraie économie européenne. Nous avons encore des économies qui se concertent, quand la Grèce va mal on se concerte et on dit moi je veux bien faire un pas mais il faut que toi tu en fasses un aussi et puis ni l’un ni l’autre ne le fais vraiment. C’est encore boiteux. Mais là aussi des progrès ont été fait et demain des progrès pourrait être fait je suis plus optimiste sur cet aspect de l’Europe. Encore que même dans ce domaine le risque est grand que cette Europe trop libérale sois beaucoup trop à la merci du libéralisme mondial notamment américain. Donc même dans ce domaine il nous faut une économie sociale et une économie avec une composante écologique forte mais c’est pas impossible et c’est en tout cas une voix dans laquelle on peut aujourd’hui travailler et c’est ce qu’il faut faire.

L’autre question est plus délicate. Est-ce que l’Europe peux venir ou redevenir l’étendard politique d’un monde qui se veux plus démocratique plus responsable juridiquement et au nom des droits de l’homme comme elle a essayé de l’être mettons par exemple au 18ème siècle français avant la Révolution, au 19e siècle britannique. Peut-elle demain devenir ou redevenir le lieu où les horizons politique du monde se nouent, se réfléchissent et se répandent, se répandent par de vastes empires autrefois aujourd’hui c’est plus possible. Alors là dessus il faut constater d’abord que l’Europe ne joue plus du tout le rôle dominant qu’elle a eu une centaine d’années que maintenant la chine l’inde le brésil tout ça ce sont des puissance avec lesquelles il faut compter. Mais même en admettant que cette Europe n’est plus la prédominance qu’elle a plus avoir à d’autres temps. Elle a peut-être et peut-être même un peu à cause de cela un rôle particulier à jouer qui serait celui de la définition d’une interdépendance solidaire qui serait le renvoie à la société globale entière de l’effort qu’elle a réussi à faire entre ses différentes composantes. Quand on a réussi quand on aura réussi c’est pas encore fait à mettre vraiment ensemble, dans un même bateau, avec une même vision commune, la Hongrie, la Pologne, la Grande-Bretagne et le Portugal et bien on peut peut-être participer à ce que d’eux-mêmes les grands ensembles du monde trouvent une façon d’être solidaire, d’être amicalement relier et de ne pas essentiellement vouloir se concurrencer et se battre. Alors je pense qu’il y a dans l’histoire de l’Europe, dans le patrimoine politique de l’Europe des valeurs qui sont encore en train de se chercher mais qui si elles se trouvent peuvent-être des valeurs à compétences universelles.

00:12:40 : Question inaudible.

00:14:05 : Alors voilà c’est évidemment une de mes tristesses, ayant eu la chance de travailler en Algérie entre 64 et 69 à une période malheureusement brève où les relations entre la France et l’Algérie, voulus d’ailleurs par le Général de Gaulle qui nous avez dit il faut que la coopération Franco algérienne soit exemplaire pour montrer que cette indépendance c’était la bonne chose à suivre et que ça fait du bien aux français comme aux algériens. À l’époque j’ai eu beaucoup de plaisir à me trouver en Algérie en contact avec les dirigeants algériens. Beaucoup d’entre eux naturellement étaient encore traumatisés par la récente guerre et il aurait été difficile quelquefois de s’ouvrir autant que nous du côté français à l’époque nous l’aurions souhaité. Je me souviens encore que les quelques ministres algériens qui avaient épousé des Françaises ou des allemandes étaient considérés avec un peu de méfiance. C’était pas facile. Mais on a essayé. Et on aurait pu réussir s’il n’y avait pas eu d’un côté comme de l’autre un moment de recul. Le recul du côté algérien vous le savez comme moi, a voulu mettre l’accent sur les relations avec l’Union soviétique d’une part et avec les Etats Arabe notamment d’Égypte de l’autre et ça a contribué a ce que du côté français on se soit un peu retiré. Il est terriblement triste qu’on ait laissé passer depuis 50 ans sans avoir vraiment repris . Alors la faute à qui ? Difficile à dire sans doute une bonne partie de la faute revient à la France qui n’a jamais surmonté complètement son sentiment que oui les algériens ils sont bien sympathiques mais il faut se méfier, ils nous ont joué des tours ils sont pas fiables etc et du côté algérien il y a eu sans doute aussi des reculs et malheureusement l’Algérie n’a pas encore su se doter à mon sens d’une équipe dirigeante suffisamment raffermie, même Bouteflika malgré tout l’effort qu’il a fait pour pouvoir vraiment négocier et utilement avec le Maroc avec la France. Mais notre responsabilité n’en est pas moins très grande. Et je souhaite vivement que nous trouvons le moyen de surmonter les aigreurs du passé ça devrait se faire vite et surtout de comprendre une Algérie qui développerait enfin de nouveaux son agriculture qui a été laissé en jachère, qui n’essaierait pas de devenir la grande puissance industrielle dont elle a rêvé mais qu’elle n’a pas réussi à accomplir. Mais devienne un des grands pays de développement culturel, agricole, petite entreprise qu’elle pourrait être et pour cela il lui faudrait du côté français une volonté d’appui qu’il manque encore. Donc vous voyez il y a beaucoup à faire. Et je disparaitrais malheureusement avant que la relation franco-algérienne ne devienne ce que je souhaite de tout cœur qu’elle soit, mais vous qui êtes jeunes, il faut y travailler, il faut aller en Algérie, il faut prendre contact avec ceux qui en Algérie actuellement est entrain de naître d’après tout ce qu’on m’en dit.

00:18:00 : Ce qui me paraît très important, ce sont les Organisations non gouvernementales à côté de partie politique qui en Algérie sont assez difficiles à situer. Ils sont ou trop d’un côté ou trop de l’autre, ça marche pas bien. Mais les Organisations non Gouvernementales, qui travaillent localement à développer telle ou telle partie des services publics, de l’agriculture, de la volonté de développement qui existe chez les Algériens. Là ya un contact à établir, et je recommande à chacune et à chacun d’entre vous, de ne jamais laissez passer l’occasion de faire un tour là-bas, de rencontrer les Algériens, nous en avons heureusement beaucoup qui sont maintenant chez nous, en France, et qu’il faut traiter comme des français à part entière, et qui ont tout leur rôle à jouer, dans notre société, dans notre économie, dans notre culture, mais il faut aller là-bas, et garder des contacts de ce genre.

00:19:45 : Question du public : Je voulais profiter de votre présence parmi nous pour essayer de m’éclairer sur la montée de l’antisémitisme qui a surgit avant la guerre… Votre ressenti en tant que déporté.

00:20:33 : Et aussi de famille juive. Il se trouve que mon père était d’une famille polonaise qui s’est installée en Allemagne au milieu du 19e siècle il a épousé une protestante ma mère et lui n’a jamais malheureusement pour moi cultivé le judaïsme de sorte qu’il ne m’a pas transmis les valeurs du judaïsme. Malgré tout je me sens par son intermédiaire proche de l’aventure dramatique des juifs depuis des millénaires. Et j’ai été de ceux qui après les horreurs de l’Holocauste, la Shoah comme on l’appelle maintenant, été enchanté à l’idée que on allait grâce aux Nations Unies donner aux Juifs un pays Israël où ils seraient protégés chez eux et où ils pourraient par conséquent avoir leur pleine indépendance de peuple juif avec son Israël à lui. J’ai constaté comme beaucoup que les Arabes ne l’avais pas accepté, qu’ayant protesté des guerres avaient éclaté et dans ses guerre Israël s’était montré extraordinairement supérieur militairement et que maintenant c’est eux qui sont les oppresseurs des Palestiniens alors qu’ils ont été pendant des siècles des opprimés. De tout cela je retire si vous voulez deux choses, d’une part que l’antisémitisme est probablement la plus facile des réactions de pays où les Juifs sont minoritaires.

Pour une raison qui est tout à l’honneur d’ailleurs des Juifs c’est que les Juifs là où ils se trouvent sont capables d’avoir de l’influence, d’avoir une communauté forte, de s’intéresser à tout ce qui se passe culturellement, scientifiquement, ils ont une grande force culturelle et comme par conséquent ceux au cœur desquels ils vivent peuvent t’avoir assez vite ce réflexe stupide de gens qui se sentent dominé par une force qu’il ne contrôle pas. C’est ce qui est arrivé en Allemagne parce que il faut dire dans l’Allemagne Wilhelminienne, les Juifs étaient nombreux, occupaient des positions importantes, dans l’art, dans la banque, dans les entreprises.

Quand un groupe humain acquiert de la force et est en même temps une minorité c’est là que ce groupe devient vite violent. Et c’est évidemment déplorable, stupide, contraire à tous sens des droits de l’homme. Tant mieux si les Juifs sont intelligents et si ils occupent des fonctions importantes ça fait du bien au pays où ils se trouvent et il faut surtout pas avoir le réflexe Oh la la ! Ceux-là, n’est-ce pas ? Et en même temps je dirais que dans n’importe quelle société le désir de trouver un bouc émissaire pour dire c’est leur faute est très fort et que le bouc émissaire juif est le plus facile à détecter parce qu’on peut lui attribuer une force qu’il n’a pas, ou une violence qu’il n’exerce pas et à ce moment là quand on voit surgir un commencement d’antisémitisme, il faut ouvrir tout de suite l’oreille et dire ça c’est ce contre quoi il faut résister et protester. Il n’y a pas d’antisémitisme légitime de même qu’il n’y a pas d’anti-islamisme légitime il y a aussi des musulmans qui peuvent être dangereux, Al-Qaïda c’est pas de la blague, ça existe, mais pour autant dire l’islam c’est dangereux c’est complètement inacceptable donc voyez-vous on peut réfléchir à comment l’antisémitisme est devenu important en Allemagne on peut même réfléchir à est-ce qu’il y a des petit reliquats un commencement d’antisémitisme en France mais il faut évidemment dire c’est inacceptable, insupportable et c’est le contraire d’une considération forte que nous devons avoir les uns pour les autres quel que soit notre force et nos valeurs.

Et en même temps il faut veiller à ce qu’on amène pas des communautarismes, il faut ouvrir, dialoguer, être avec, ne pas les laisser s’enfermer et quand ils s’enferment alors ils peuvent susciter un rejet de la part des autres.

00:26:09 : Compliqué. C’est probablement une des questions humaine les plus importantes auxquelles réfléchir, il ne faut pas que par exemple des Algériens soit des Algériens non ce sont des êtres humains comme nous. Nous sommes ensemble, vous êtes ensemble, les femmes surtout et je suis content qu’il y ait eu une question d’une femme et je propose à toutes les femmes qui sont là de se rendre compte qu’elles ont vis-à-vis des hommes, un avantage formidable, c’est que comme jusqu’ici elles n’ont pas véritablement exercé le pouvoir et qu’elles vont peut-être l’exercer demain. Demandons leur de réfléchir à la façon affreuse dont le pouvoir a été exercé et de l’exercer elles, différemment.

00:27:54 : Public qui consulte les livres sur la résistance et la déportation.

2010 / Villeurbanne / mairie

  • Date du témoignage : 15/03/2010.
  • Contexte : Entretien avec Sonia Bove (déléguée à la vie associative et aux anciens combattants à Villeurbanne), Jean et Lisette De Filipis, Maurice Luya, Roland Beaulaygue (alors président de l'AFMD du Rhône). Le son est pas très audible sur l'ensemble de la captation, la caméra tremble.
  • Source : AFMD du Rhône (publication le )
  • Date d'ajout à la base : 04/03/2023
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Ceci est la transcription brute de la vidéo de la visite de Stéphane Hessel, sans coupe, sans montage.

00:31:15 : L’élue Sonia Bove s’exprime, avec en face Lisette De Filipis, Stéphane Hessel, Maurice Luya, Roland Beaulaygue (alors président de l’AFMD du Rhône). Le son est pas très audible sur l’ensemble de la captation, la caméra tremble.

00:33:00 : Arrivée de Jean De Filipis et Claude Descôte (responsable des Éclaireurs de France).

Stéphane Hessel :

00:34:10 : Vous savez que le seul juste américain c’est Varian Fry et il a été très actif à Marseille alors évidemment Marseille c’est pas Lyon mais Fry à qui je dois mon passage de France en Angleterre parce que sans lui j’aurais pas pu traverser facilement la Méditerranée et rejoindre Casablanca et Lisbonne et Bristol était cet américain qui a fait beaucoup pour faire sortir de France notamment les grands artistes comme Breton, Max Ernst et aussi plus de 1000 juifs c’est le seul américain qui a été reconnu comme juste entre les nations par Israël. Parce que les Américains n’ont pas fait grand-chose pour les Juifs, les accueillir, mais ils n’en n’ont pas sauvé. Et ça m’est très cher parce que été pour moi un ami et nous avons été ensemble en 1940 pendant toute la fin de l’année 40 et c’est un type merveilleux.

00:35:40 : Ici nous sommes à Villeurbanne, pour moi une ville marquée notamment par la déportation parce que vous avez eu une rafle terrible le 1er mars et combien sont revenus ? Ils sont partis 300, ils sont revenus 160 pratiquement la moitié est mort suite au retour il en reste cinq ou six il y en a qu’un qui peut encore témoigner.

00:36:38 : Lisette et Jean de Filipis évoquent La Mosquée de Paris une résistance oubliée. Ils ont sauvé dix sept cent juifs, un film qui a été fait par Derri Berkani qui rappelle cet épisode.

00:38:24 : Entrée du maire Jean-Paul Bret dans le bureau de Sonia Bove.

00:39:03 : Traversée dans le couloir pour aller au bureau du maire.

Jean-Paul Bret :

00:39:50 :

Je suis content que vous soyez là. C’est un moment important de ma vie de vous rencontrer.

Stéphane Hessel :

Moi ça me fait plaisir d’être ici au lendemain des élections.

Jean-Paul Bret :

Vous étiez candidats pour Europe Écologie…

Stéphane Hessel :

J’étais sur la liste Europe Écologie mais très intéressé par ce nouveau mouvement que je trouve sympathique et que je trouve courageux et j’aime bien les formations politiques qui font preuve de courage et même d’un peu d’impertinence.

00:53:09 : Je peux vous proposer un petit Apollinaire si vous voulez.

Il récite le poème. Il récite également un autre texte.

00:55:55 : J’ai fait tout un livre que j’ai appelé Oh ma mémoire où il y a les 88 poèmes en français, en anglais et en allemand, que je prétends savoir par cœur.

00:56:07 : Et ce qui vient de m’arriver de plus exaltant pour un vieux comme moi, c’est que le fils de l’homme qui m’a sauvé la vie à Buchenwald… J’ai été sauvé par un allemand qui s’appelle Eugen Kogon et qui a écrit d’ailleurs un des meilleurs livres sur les camps de concentration, l’État SS. Et bien son fils Michael Kogon est tombé sur mon livre de poésie et les a traduit en allemand et ce livre va sortir au mois de mai prochain.

Sonia Bove :

00:57:00 : Et vous connaissiez Aragon ? Vous l’avez approché ?

Stéphane Hessel :

Oui je l’ai rencontré dans les années 35 à l’époque des grande réunions antifascistes où il était le plus éloquent et le plus dandy. Il a écrit Le Paysan de Paris.

Compléments biographiques

Stéphane Hessel est issu d’une famille juive convertie au luthéranisme qui vient s’installer en France en 1925. Après de brillantes études à l’École libre des sciences politiques, il est naturalisé français en 1937. Il entre à l’École Normale Supérieure deux ans plus tard, où il poursuit des études de philosophie. Quand la guerre éclate, il est mobilisé avec sa promotion de normaliens. Résistant de la première heure, il est fait prisonnier, s’évade en 1940 et rejoint le général de Gaulle à Londres en mars 1941.

Après plusieurs années en tant qu’agent de liaison, Stéphane Hessel est envoyé en mission en France en 1944. Dénoncé, il est arrêté le 10 juillet par la Gestapo qui le torture. Le 8 août, il est déporté en même temps que quarante-deux autres agents secrets britanniques, français et belges,  à Buchenwald où on lui attribue le matricule 10033. Ils sont détenus au Block 17. Seize d’entre eux sont pendus le 11 septembre, et onze autres exécutés le 5 octobre. Grâce à la Résistance clandestine, Stéphane Hessel échappe à la mort en échangeant son identité avec celle de Michel Boitel, matricule 81626, mort du typhus le 20 octobre 1944. Il est ensuite transféré dans le kommando de Rottleberode. En janvier 1945, après une tentative d’évasion ratée, il est emmené à Dora et échappe de peu à la pendaison. Le 4 avril, il quitte le camp dans un convoi à destination de Bergen-Belsen. Dans le train en marche, Stéphane Hessel démonte deux lattes du plancher, s’évade et rejoint les lignes américaines. Depuis le régiment américain qu’il a rejoint, il est renvoyé à Paris où il arrive le 8 mai 1945.

Stéphane Hessel assiste en 1948 aux sessions de rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, puis entre au service du ministère de Pierre Mendès-France. Il devient ambassadeur de France à l’ONU en 1981. Médiateur dans l’affaire des sans-papier en 1996, il apporte son soutien inlassable à la défense des droits de l’homme. En 2010, il publie un manifeste, Indignez-vous !, dans lequel il encourage les jeunes à conserver un pouvoir d’indignation devant les abus et les injustices en rappelant les idéaux du Conseil national de la Résistance (CNR).

Hessel, Stéphane
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