Chombart de Lauwe, Marie-José

Marie-José Chombart de Lauwe naît le 31/05/1923 à Paris, Paris, France (FR)

Entrée en résistance :

  • rejoint le réseau « La Bande à Sidonie » en 1941 — elle contribue à l'évasion vers l'Angleterre de personnes passées à la clandestinité
  • rejoint le réseau « Georges France 31 » — elle transmet notamment des plans de défense côtière cachés dans ses cahiers d'anatomie

Arrestation : Arrestation pour faits de résistance le 22/05/1942 à Rennes, Ille-et-Vilaine - par la Gestapo

Détention avant déportation :

  • à la prison de la Santé de Paris

Déportation de répression en 1943 :

  • au camp de Ravensbrück — matricule 21706
  • au camp de Mauthausen jusqu'au 22/04/1945 - libération par la Croix-Rouge

Interventions

2009 / Villeurbanne / Rize

  • Date du témoignage : 08/03/2009.
  • Contexte : Témoignage au cours d'un événement présenté par Sonia Bove et Charles Roche, introduit par la Chorale Les Ans Chanteurs, avec une œuvre en toile de fond de Madeleine Lambert, plasticienne. Roger Pestourie a témoigné au cours du même événement avant elle.
  • Source : AFMD du Rhône (publication le 08/03/2023)
  • Date d'ajout à la base : 06/03/2023
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Ceci est la transcription brute du témoignage de Marie-José Chombart de Lauwe, sans coupe, sans montage.

Partie 1

Marie-José Chombart de Lauwe :

00:27:23 : D’abord je remercie vivement tous les organisateurs de cette réunion, à la fois nos élus, le responsable directeur de cette maison, mes amis de la fondation l’ANACR et tous mes camarades résistants et déportés qui sont dans la salle et j’adresse un mot particulier aux jeunes ils sont notre relève et qui sont venus nous écouter et qui vont permettre que notre mémoire demeure vivante grâce à eux. Je voudrais dire que je suis porteuse de mémoire de beaucoup de mes camarades disparus, je suis parmi les plus jeunes dans la Résistance, quelques petites précisions, quand nous avons été arrêté, nous avons été arrêté, 14 personnes, dont mes parents, ma mère, c’était une femme active qui avait organisé contribué, à aidé des évasions vers l’Angleterre et d’autres femmes dans ce groupe. Nous n’avons pas été dénoncé si on peut dire mais infiltré par un agent double, service de contre-espionnage de la Wehrmacht.

00:28:44 : J’ai été arrêté à Rennes dans ma chambre d’étudiante à 19 ans. Nous avons été avec des interrogatoires durs et la première fois que j’ai été à l’interrogatoire dans une demi-cave il y avait sur la table les plans défenses côtières du dernier mois que l’agent double infiltré avait remis au Service de contre-espionnage et je pensais que nous étions perdu vu ce qu’il y avait comme affiches sur les murs. La déportation à Ravensbrück… mais au long de cette trajectoire je voudrais évoquer quelques personnes donc je porte la mémoire et c’est leur parole que je vous renvoie quand je me suis retrouvée à la Santé, une des premières personnes que j’ai vu c’est Marie-Claude Vaillant-Couturier, nous sommes le 18 août 1942, et dans ces cellules infectes nous n’avions pas l’eau évidemment le matin on ouvrait la porte on sortait une petite cruche et donc par mon œilleton je voyais celle qui était en face de moi quand elle sortait sa cruche et je vois une belle jeune femme blonde c’est Marie-Claude Vaillant-Couturier. A la santé nous avions des sièges pour faire nos besoins qui étaient des sièges de ciment sans chasse d’eau qui donnaient sur les égouts c’était un merveilleux téléphone et en se mettant la tête au-dessus on pouvait parler et j’ai connu Marie-Claude Vaillant-Couturier dans ces conditions où c’était la 2e division allemande où il y avait des otages, des condamnés à mort.

00:30:41 : Aussi une parole de jeune pour les jeunes ici. Le matin on venait chercher les condamnés à mort pour les fusiller, il y avait un jeune au-dessus de nous 20 ans, nous l’appelions Toto et quand les condamnés étaient emmenés il était encore là et nous criait « Bonjour les camarades encore une belle journée que j’aurai vu et quand on m’emmènera, quand je tomberais, vous direz aux jeunes si vous survivez que je suis tombé pour que la jeunesse après moi revive dans la paix et dans la joie », c’était sa parole. Et puis une femme dont j’ai été très proche, ma voisine de cellule dont on ne parle pas assez France Bloch-Sérazin, elle était chimiste et elle a fait fabriquer des explosifs pour faire sauter les trains d’armement dans le groupe des premiers FTP qui faisaient sauter ses trains d’armement alors elle me parlait de son petit Roland qui avait 3 ans et qui avait été caché, de son mari Fredo qui était un ouvrier un militant syndicaliste, qui était parti dans la Résistance, il a été massacré par la milice. Il y a très peu d’année, il y a de 3 ans, il y a eu un très beau film réalisé sur ce couple qui passait sur la télévision à 3h du matin je voudrais qu’on fasse ressortir ce très beau film de France. Alors il y a eu un procès elle était la seule femme ils étaient une quinzaine ils ont été condamné à mort et si vous allez au Mont Valérien il y a cette cloche avec les noms des fusillés mais il y a pas le nom de France ils avaient dit à la femme lors du procès nous on est généreux on exécute pas les femmes alors j’ai cherché après la guerre France, je pensais qu’elle arriver un jour à Ravensbrück mais non elle a été envoyée à Hambourg et guillotiné c’était le sort des femmes. Comme d’ailleurs si vous voyez l’Affiche Rouge, ces hommes que les Allemands présentaient comme inquiétants, barbus, d’ailleurs l’affiche est accompagné d’un poème d’Aragon et à la fin il est dit et la nuit une main écrit « mort pour la France ».

00:33:37 : Mais la femme Olga Bancic a été emmenée en Allemagne et guillotiné, voilà le sort secret discret des femmes ça fait pas bien une femme sur une affiche, il faut rappeler le souvenir de ses femmes, voilà les histoires de femmes.

00:33:57 : Ensuite je suis déportée, Ravensbrück. C’est le grand camp de femme, mes camarades de l’Amicale de Ravensbrück me disent quelquefois quand on parle de la déportation depuis ces dernières années et sur la télévision qu’est-ce qui passe ? on parle d’Auschwitz, de Buchenwald, Dachau, mes camarades me disent et Ravensbrück est souvent dans les etc. c’est pour ça que nous prenons la parole pour faire connaître ce que fut le grand camp de femme Ravensbrück.
Alors Ravensbrück se trouve au nord de Berlin à 80 km au nord entre Berlin et la Baltique c’est là que 120 000 femmes ont terriblement souffert. Tout à l’heure mon ami voisin parlait des coquetteries de femme moi je dirais sans doute qu’il s’agit d’une dignité particulière des femmes qui essayaient de de rester digne jusqu’à dans les pires situations et ça je pouvais en témoigner. Nous arrivons à Ravensbrück après un voyage avec un arrêt de quelques jours et nous arrivons le soir on attend devant les douches et rentraient les colonnes de travail et quand nous avons vu passer ce défilé de femme squelettique souvent la tête rasée, le visage creusé et des vêtements en loques…je n’ai pas eu de vraie procès on nous a dit dans les interrogatoires qui se passaient à la Gestapo à Paris on nous a dit « considérez-vous comme condamné à mort » il n’y a pas eu de vrai jugement nous avons été classé nuit et brouillard, ce groupe de gens dangereux qui devait disparaître sans laisser de trace pour faire régner l’inquiétude dans la population.

00:36:24 : Et puis nous rentrons dans la douche et là a commencé la première phase de ce que j’ai appelé la déshumanisation que les nazis tentaient de nous imposer on nous déshabille complètement complètement et on nous fouille jusque dans les parties les plus intimes, voir ma mère nue je ne l’avais jamais vu nue. Humiliation. Et on sort de là on n’est plus qu’un numéro qu’il faut très vite apprendre à dire en allemand, on coud sur la robe le numéro, 21706.

00:37:03 : Et pour commencer la vie quotidienne à Ravensbrück, on a une journée banale, le lever le matin a été marqué par un coup de sirène, 3h20 le lever, là on se précipitait pour aller se laver un peu sans savon avec le robinet d’eau froide on nous distribuait un quart de café et puis nous sortions à l’appel, première épreuve de la journée debout et immobile une heure deux heures pour que tout le camp soit compté. C’était l’été mais sont arrivées les pluies de l’automne des jours et des jours sans un fil de sec alors qu’est-ce que nous avions eu comme vêtements ? nous avions une chemise, une culotte et la robe d’uniforme l’hiver on a eu la veste pareille mais un tissu pas du tout chaud, aucun change. Élémentaire en particulier pour les femmes qui aiment soigner un peu leur hygiène. On veut laver sa culotte mais il faut la remettre mouiller vu qu’il y a pas de change et là aussi détail important impossible de mettre quoi que ce soit à sécher parce que dans le camp il y a une promiscuité effroyable. Nous les politiques nous portons un triangle rouge avec la lettre de notre nationalité il y a 20 nationalités mais à côté de nous il y a des triangles verts qui sont des criminels des femmes qui ont tué etc et puis des triangles noirs asocial toute sorte de catégorie, les triangles n’ont qu’une idée c’est voler les autres pas moyen de laisser quoi que ce soit par exemple les galoches pour les babouches à semelle de bois il faut les mettre sous la tête la nuit sans ça elles sont volées donc promiscuité tout le temps la peur, c’est très douloureux à vivre. C’est une honte que des femmes se battent aussi entre elles.

00:39:07 : Deuxième coup de sirène fin de l’appel. Là nous allons partir au travail. 12h par jour coupé à l’heure du déjeuner par une soupe qui est fait par quelques choux, des sortes de navets on a donc très vite très faim et le soir on rentre, nouvel appel et on nous distribue le dîner qui est un morceau de pain qui se réduit au début 250 g et après c’est plus qu’un petit morceau de moisi avec une rondelle de saucisson ou un petit cube de margarine et on va se coucher dans ces lits à étage les châlits sur chacun la largeur est fait pour une femme, on est tout de suite deux et on dort très mal parce qu’on a plein de poux, de vermine, de la gale, et si à la moindre écorchure, la moindre plaie ne guérit parce que le corps est tellement carencé, les écorchures ça devient un ulcère et surtout la durée on se dit demain ça va recommencer pareil pareil.

00:40:10 : Le travail. Il y a des travaux extérieurs par exemple on fait les routes on étale le mâchefer et on traîne le rouleau compresseur. Nous sommes commandées par des SS hommes ou femmes, les femmes ce sont des auxiliaires de la SS avec le chien, homme femme et chien et puis si on ne travaille pas assez vite y’a la matraque et on est très souvent battue. C’est un type de travail extérieur. Il y a des femmes qui travaillent dans le bois comme bûcheronne mais croyez pas qu’elles coupent des petites branches elles vont dessoucher des grosses racines extrêmement dures il y a des femmes qui vont décharger les péniches car nous sommes le long d’un lac, le lac de Fürstenberg on décharge le charbon, on arrache les roseaux pour faire des canisses les pieds dans l’eau et moi j’ai travaillé dans une caserne de sable c’était un grand rectangle il fallait creuser en profondeur et avec la pelle on remontait par étage jusqu’en haut il y avait des chariots à remplir et emmener le sable là où il y avait des constructions, ça c’est les travaux extérieurs et puis j’étais embauchée chez Siemens Ah Siemens actuellement c’est les appareils électroménagers et Siemens avaient ses baraques dans le camp mais comme je n’avais pas le droit de travailler dans les grands commandos plus loin mais il y a Siemens sur place donc je travaillais chez Siemens. On travaillait toujours 12h, nous étions surveillées par des SS hommes femmes mais les contremaîtres étaient des civils et qui constataient dans quel état nous étions et souvent, les contremaîtres civils voyaient que nous étions battus devant eux, au début j’en ai vu un qui était assez gentil mais il pouvait pas faire grand-chose mais c’est quand même lui qui nous a annoncé le débarquement et c’était un espoir énorme mais quand on a vu qu’on allait passer un nouvel hiver il y a eu des dépressions terribles parce que c’était le froid qui était le plus terrible.

00:42:19 : Le froid. Quand on partait au travail il y avait un grand thermomètre sur le bureau j’ai vu le thermomètre descendre à -30, -33 vous imaginez, immobiles, 2h, pendant l’appel avec des -30, -33, tout était gelé, glacé, c’était effroyable. J’ai travaillé là chez Siemens mais là j’ai découvert aussi l’économie du camp, dans nos 58 convois nous avions une Alsacienne qui était parfaitement bilingue, elle a été embauché dans les bureaux et là elle voyait arriver les versements des entreprises par Siemens, Siemens versait au camp pour la SS, le camp était propriété des SS, elle voyait arriver les versements, quatre ou cinq mark par jour par prisonnières mais les SS dépensaient pour nous nourrir 35 centimes contre 5 € vous imaginez les profits énormes pour l’entreprise qui aurait payé plus cher des travailleurs libres et pour la SS, nous avons découvert le système économique du camp, nous étions des objets, des choses à produire. Ces entreprises auraient eu avantage à avoir des employés qui arrivent qu’ils soient pas épuisés après l’appel, après la nourriture insuffisante etc comment ils acceptaient cette situation ? Et bien c’est un système qui jouait sur la quantité, il y avait ce matériel humain, ces choses, ces objets, exploitables et constamment remplacés.

00:44:19 : Je vous parle là du quotidien maintenant je vais vous parler du crime contre l’humanité car on pense crime contre l’humanité, l’horrible génocide des juifs avec les chambres à gaz dont on connaît toutes les réalités maintenant on a toutes les preuves. Je pourrais vous lire des déclarations de SS j’en ai là, qu’ils ont reconnu parfaitement la réalité du gazage c’était la fonction de faire disparaître les Juifs. Pour moi le pire crime contre l’humanité, le mal absolu, c’est les enfants envoyés dans les chambres à gaz mais dans un camp de concentration comme Ravensbrück qui n’est pas un camp d’extermination quoique à la fin il y avait les chambres à gaz mais pour éliminer les bouches inutiles les malades etc. Dans un camp de concentration, voilà les crimes contre l’humanité dont je témoigne directement, 3 en particulier.

00:45:27 : Pendant les appels, au début, je voyais un groupe de jeunes filles qui pendant l’appel avaient droit à des tabourets, pourquoi ? et bien ces jeunes filles, ces jeunes femmes, la plus jeune avait à peine 15 ans, des adolescentes et puis des femmes jeunes, 75, presque toutes des résistantes polonaises avaient été choisi comme animaux de laboratoire et elles avaient des tabourets parce qu’elles avaient des plaies ouvertes dans les jambes… les médecins nazis avaient procédé à des opérations qu’on ne pratiquerait pas sur des animaux de laboratoire actuellement étant donné la douleur imposée, plaie ouverte, dans lequel ils extrayaient des morceaux d’os des morceaux de muscle pour voir comment ça se constituait et ils profitaient des plaies ouvertes pour faire des cultures de staphylocoque, de gangrène… voilà cette horreur d’utilisation des êtres humains comme objet d’expérimentation alors le résultat il y en a qui sont mortes il y en a qui ont été fusillé car à Ravensbruck, de temps en temps il y avait l’ordre d’un bureau politique de Berlin et des exécutions, il y avait des survivantes à la fin et on les a sauvé grâce à quelque chose d’important c’est la solidarité et l’entraide les sauvetages, on a continué à résister jusqu’à dans l’horreur des camps pour sauver la vie.

00:47:07 : Alors comment est-ce qu’on a sauvé les gens ? il y avait un grand désordre à la fin et chaque baraque avait une liste avec des numéros et dans la baraque où j’étais et où étaient ces opérés, ces sujets d’expérimentations, on barrait leur nom, on mettait une croix devant, comme quoi on faisait croire qu’elles étaient mortes et on les mettait dans une baraque à côté où il y avait vraiment une morte et on en a sauvé quelques-unes qui ont été des témoins irrécusables de l’horreur nazi. Premier crime contre l’humanité. Deuxième crime contre l’humanité ? concerne encore des femmes et des enfants : les tziganes. Il faut parler aussi des tziganes. Ravensbrück. Des femmes et des enfants, des petites filles de 8 à 11 ans, 120 environ, et puis un jour le commandant pense que ça serait bien de faire chez lui comme à Auschwitz, des expériences de stérilisation, de castration, ça s’est beaucoup pratiqué à Auschwitz, à Ravensbruck aussi. Alors les enfants et les femmes étaient emmenés dans ce pseudo hôpital, les infirmières et les médecins ne rentraient pas dans la salle d’opération mais on les ramassait à la sortie des opérés, je passe la douleur, les souffrances. Mais on a su ce qui se passait car le responsable médecin a eu besoin de radiologue, il a trouvé des des déportés radiologues pour développer les radios faites pendant l’intervention et on a su qi’ils introduisaient par les voies génitales un liquide qui allait scléroser les trompes et les ovaires des organes génitaux. Voilà un autre crime et là je vais vous dire une chose assez horrible, il y a eu un moment dans une pièce à côté une petite fille de 10 ans, les médecins ont ouvert le ventre pour voir le résultat de ces scléroses et elle est restée plusieurs jours avant de mourir le ventre ouvert. Je voudrais vous rappeler aussi qu’après le grand procès de Nuremberg il y a eu le procès des médecins à Nuremberg et on a jugé un certain nombre d’entre eux il y a eu des quantités de monstruosité de crime du corps médical nazi de l’époque. Pour terminer je voudrais vous dire le commandant a été jugé, à ….tribunal français, les autres responsables de ce camp avait été jugé à Hambourg mais lui et son adjoint de travail s’était caché on les a repris ils ont été jugé dans un tribunal français et j’ai été témoin de ce procès. Je parlais de différents crimes il me répondait non coupable et quand j’ai parlé des stérilisations des Tsiganes il est devenu presque souriant et il m’a répondu mais bien sûr j’ai fait stériliser les femmes et les enfants dans mon camp et vous savez j’ai fait aussi sur des hommes mais enfin comprenez c’était tsiganes, voilà la mentalité nazi, ya des êtres humains sur lesquels on a droit de tout faire. Alors question aussi, pourquoi ne pas tuer tout de suite ces groupes humains inférieurs car dans l’idéologie nazie il y avait les races humaines et en dessous ce qu’on réduit en esclavage, et tout à fait en bas ceux qui sont des parasites pourquoi pas les tuer tout de suite ? pour une raison très simple c’est que l’Allemagne nazie voulait coloniser la Pologne et la Russie et tous ces pays et remplacer la population par les bons aryens mais ils ont eu besoin de plus en plus de main d’oeuvre et alors ces populations vous voyez il fallait les faire travailler, on manquait de main d’oeuvre et avec les polonais…au fond les tsiganes on pouvait les exploiter à mort pourvu qu’ils soient pas ensemble et se reproduisent pas donc l’idée de stériliser en masse c’était utiliser cette main d’oeuvre jusqu’à mort sans danger.

00:51:36 : Troisième et dernier crime contre l’humanité dont je voulais vous parler à Ravensbrück et qui concerne tout particulièrement aussi les femmes et les enfants. Quand vous avez un camp de femme il y en a qui arrivent enceinte et qu’est-ce qui se passe ? il y avait une interdiction de naissance des bébés au camp et bien au début si la grossesse n’est pas très avancé on fait avorter la femme, il y a un cas particulier, si par hasard cette future mère est une allemande non juive enceinte d’un Allemand non juif alors le produit est bon on envoie accoucher au-dehors et l’enfant est gardé élevé dans les centres spéciaux, il y a un bon produit, mais pour tous les autres si la grossesse est avancée elle accouche et le bébé est noyé dans un seau ou assommé sur le mur à la naissance, crime contre l’espèce humaine, je vous raconte des choses horribles mais c’est une réalité qu’on a vécu nous les femmes.

00:52:43 : Alors à partir de 44, sentant la débâcle en route, il y a eu des naissances sauvage dans le dans le camp mais les enfants mouraient, et puis les responsables du camp ont installé une petite pièce qu’ils ont appelé la chambre des enfants dans une baraque de malade j’étais une des jeunes filles choisies pour s’en occuper donc ici mon témoignage est direct. Nous étions deux ou trois, on faisait ce qu’on pouvait pour sauver les bébés, une petite pièce avec deux châlits, deux étages, une tablette avec un lavabo avec un robinet d’eau froide, on m’amenait les bébés après la naissance ils avaient sur eux une petite chemise, une seule couche de change et un petit châle pour les enrouler donc total manque de change, manque d’hygiène, et puis les mère venaient leur donner le sein, je sais pas si vous imaginez ce spectacle, quelques-unes avaient du lait quelques jours bon il fallait se battre pour la survie. Nous avons obtenu grâce à une femme médecin qui était très très bien elle savait qu’il y avait un placard et nous avons finalement obtenu du lait en poudre et on nous en a donné avec 2 biberons mais dans cette pièce j’ai eu 10, puis 20 jusqu’à 40 nouveaux-nés, chacun a besoin d’un quart d’heure pour boire on remplissait la bouteille, on donnait à une autre mère etc. Là on a appelé encore la solidarité du camp : trouvez-nous des biberons, trouvez nous des petites bouteilles et elles nous ont trouvé 10 petites bouteilles. Il faut dire que c’était une ville Ravensbrück à cette époque-là il y avait jusqu’à 40 000 femmes dans le camp, il y avait toutes sortes d’ateliers, 10 petites bouteilles et faire boire un nouveau-né à la bouteille ça marche pas très bien alors il fallait des tétines. Une infirmière courageuse a eu une idée géniale, quand on a rien, on devient inventif et ça c’est la qualité des femmes de savoir utiliser dans le quotidien des choses de la vie, elle a attendu que le médecin-chef soit sorti elle est entré dans son bureau elle lui a volé sa paire de gants de caoutchouc et ça a fait des tétines non plus et on a essayé de faire survivre certains de ces bébés malheureusement les infections, le froid, épidémie etc. on a eu très peu de survivants alors on peut dire Marie-Jo elle exagère oui mais j’ai les documents d’archives et tout ça était inscrit et ce livre j’aurais pu vous le montrer, l’original est resté à Ravensbrück moi j’ai la copie avec toute la liste des noms ça s’appelle le livre des naissances, il y a le numéro de la mère, son nom, sa nationalité, motif d’arrestation et puis ya la liste des bébés et le prénom du bébé et malheureusement ça se termine toujours par une petite croix et combien ? ça a commencé en septembre 44 et ça se fini avec la Libération du camp fin avril presque 600 morts, de naissance alors imaginez ces mères etc. et combien de survivants ? une quarantaine. Crime contre l’humanité, contre l’espèce humaine et pour la douleur des mères je me souviens d’une petite polonaise qui me disait mes parents sont morts dans le bombardement, mon mari a été fusillé, il me reste le bébé et puis le bébé est mort c’était un monde de douleur, voilà ce qui a été l’histoire des femmes de Ravensbrück et leur lutte pour la vie. Et vous savez peut-être que sur cette liste, il y avait 21 petits bébés français, on a 3 survivants et je peux vous dire que ces 3 survivants, qu’ils viennent témoigner, sont des miraculés de la lutte pour la vie.

00:57:58 : Quand les bébés mouraient il fallait les amener dans une pièce, on dirait la morgue en français, avant le crématoire, et je suis descendu, je suis témoin des tas de morts, on descendait les bébés morts là il fallait les emmener c’était quelque chose de déchirant parce qu’on s’attachait à ces nouveaux-nés je rentrais dans cette pièce et j’ai vu l’enfer, les tas de cadavres les yeux grands ouverts la bouche qui crie ces femmes nues avec souvent les bras les jambes violacées mortes gelées de froid, j’ai vu des femmes le ventre ouvert parce que certains jeunes médecins SS s’entraînaient à des césariennes et les rataient. Il y avait une tablette avec les dents en or arrachées car tout était profit, nos cheveux servaient pour faire des feutres ou des couvertures, les dents en or, c’était un profit pour les SS, nous étions des objets de profit, nous n’étions plus des êtres humains. Et bien dans ces conditions là les femmes ont lutté pour garder leur dignité de femme et ça c’est quelque chose que les nazis avaient du mal à comprendre ils supportaient mal nos regards quand ils voyaient les femmes encore dignes et qui arrivaient malgré tout à se tenir un peu propre avec quelques robinets d’eau froide, à se présenter avec cette dignité des femmes mais ils voulaient nous humilier c’est toujours cette idée et bien malgré tout par exemple une femme est punie, une punition : mettre debout à côté de la surveillante en chef, elle baisse la tête et une qui passe, elle a dit relève la tête voilà la dignité des femmes, essayer de se maintenir. J’ai vu des jeunes femmes quand le temps était un peu moins froid l’été, arriver à faire des pinces pour que cette fameuse robe rayée sois un peu plus j’dis pas coquette mais un peu plus soignée, il m’est arrivé de sacrifier une ration de pain pour ma robe et puis quelque chose aussi c’était tenir le moral.

01:00:36 : D’abord une forme de résistance particulière, avoir l’information. Je vais vous parler de camarades qui sont rentrés dans les bureaux. Les responsabilités étaient souvent tenus par les triangles verts. Petit à petit on a essayé de les remplacer pour rendre service aux autres. Avoir l’information c’était très important. Les SS dans les bureaux laissaient trainer leur journal et nous avions fait une petite carte et nous pointions les avancées des alliés. On savait très bien que les allemands reculaient.

Partie 2

00:00:16 : Alors entretenir le moral. On a toujours essayer de fêter les anniversaires qu’est-ce qu’on faisait pour fêter un anniversaire ? alors on tâchait de fabriquer un petit objet, il y avait des ateliers où il y avait des tissus, il y avait toute sorte de réparation de vêtements pour les uniformes, y avait des ateliers de tissage, trouver un petit carré de tissu blanc par exemple, trouver des fils de couleur et broder le prénom de celle qu’on voulait fêter et moi quand j’étais chez Siemens alors je fabriquais des petits objets clandestins j’aurais presque pu vous en apporter j’en ai ramené quelques-uns c’est-à-dire que je réglais les interrupteurs c’était comme de l’horlogerie c’était très fin et il y avait une plaque et au-dessus y’avait des gros bouton je prenais ses boutons et comme j’avais une boîte à outils avec des outils très fin, petite lime, petite pince, je limais le bord des petits objets, clandestins bien sûr c’était du sabotage c’était très dangereux, je faisais ça sous la table et on offrait un petit cadeau, chacune apportait ce qu’elle pouvait…

00:01:36 : Et puis on chantait on avait crée une chorale, tout ça clandestin, et puis y’en avait qui récitait des poèmes etc. et c’est comme ça que Germaine Tillon a créé une pièce, drôle, humoristique et moi j’ai vu la création de cette pièce, on montait dans le châlits d’en haut et nous rions de nous-même car l’humour est quelque chose, on se décentrait de notre malheurs de pouvoir en rire, pouvoir créer des poèmes, certaines dessinaient sur des bouts de papier tout ça était secret et on arrivait à mener une vie d’être pensant, de ne pas être complètement déshumanisé ça a été aussi la lutte des femmes et j’ai actuellement un carton des objets qu’on a pu sauver de Ravensbruck, étonnant qu’on a pu créer, c’était ça la spécificité je dirai des femmes et de maintenir une forme de vie jusqu’à Ravensbruck.

00:02:37 : Alors comment ça s’est terminé pour mon histoire à moi ? alors à cette époque là le commandant essayait de décharger ce camp totalement surpeuplé. Alors il organisait des convois, il y avait trois convois sur Bergen-Belsen c’était un camp mouroir où y’avait un typhus considérable. Ceux qui connaissent le film Nuit et Brouillard se rappellent peut-être cette image horrible d’un soldat anglais qui vient de libérer le camp et il a une pelleteuse et ce sont des cadavres des déportés qu’il fait rouler dans les tranchées, c’était ça Bergen-Belsen. Et bien le commandant envoie sur Bergen-Belsen un certains nombre de convois dont des femmes avec des enfants et là je vais vous dire aussi un cas particulier n’y avait donc des femmes avec des enfants aussi plus grand je vais vous parler de la Famille Rosenberg de Lille, vous aviez la maman et trois enfants c’était une famille juive qui n’avait pas été envoyé à Auschwitz et en plus ils avaient une origine hongroise, les hongrois avaient été allié à des nazis, ils avaient été dénaturalisé par Pétain. 3 enfants, une fille de 11 ans, un garçon de 8 ans et un petit garçon entre 3 et 4 ans, imaginez ses enfants à Ravensbruck qui faisaient l’appel le matin, qui touchaient la nourriture des adultes, qui passaient leur journée a écraser leur poux, qui étaient trop faible pour jouer. Parce qu’ils sont envoyés par le premier train parti le 27 février 45 sur Bergen-Belsen. Ils arrivent pas très loin de Bergen-Belsen mais les voies étaient coupées par les bombardements des alliés. Nous sommes fin février 45. Les SS font sortir les femmes et donnent des cartons à Madame Rosenberg en lui disant vous mettrez dedans ce que vous trouvez dans les compartiments et la petite de 11 ans, Lili, s’est rappelée, c’était des bébés morts durant trajet. Le trajet avait duré 3 jours. Y a une mère avec son bébé qui avait demandé j’ai encore avec moi un peu de lait en poudre est-ce que je pourrais trouver de l’eau pour mettre et on lui a répondu vous n’avez qu’à prendre l’eau de la locomotive, voilà l’attitude de ces femmes SS même une infirmière. Le convoi dont je parle avec les Rosenberg arrive, et ils arrivent sur Bergen-Belsen, c’est effroyable les conditions de ce camp, à ce moment-là, typhus, des tas de mort partout et au bout de quelques temps la mère attrape le typhus, elle est emmené on ne sait pas où et les trois enfants, moi je salue la petite fille de 11 ans qui s’occupe des deux petits, extraordinaire bref ils sont libérés par les Anglais.

00:06:12 : Ils rentrent en France ils retrouvent une tante, 2 mois après la mère rentre, elle avait repris conscience, elle avait été sauvé par les Anglais alors qu’on l’a croyait quasiment morte. Je faisais une conférence à Villeneuve-d’Ascq qui est la ville nouvelle près de Lille et je passais un film sur les Néo-Nazis actuels c’était au début des années 1980 et je possède des films sur ces données, les jeunes néo-nazis qui saluent Hitler etc. à la fin du film des jeunes femmes qui viennent me trouver et qui me dis : j’avais jamais voulu témoigner mais maintenant je vois qu’il y en a qui commence je parlerai je suis Lili Rosenberg et maintenant elle vient dans tous nos congrès etc.. mais le 3ème, le petit garçon, vers 1995 par là, je vois arriver un jeune professeur de lettres qui me dit je suis André Rosenberg mais après ce que j’ai vécu je veux faire une thèse sur la déportation des Tsiganes partis de France et bien début de décembre 2000 il a soutenu sa thèse à la Sorbonne une thèse qui fait 1000 pages, il a rassemblé tous ses documents moi j’étais dans le jury, voyez le retour…j’appellerai pas ça vengeance, là c’est victoire de la vie. La vie continue, notre mémoire continue à lutter et à créer. Il faut montrer aux jeunes, parce qu’on peut lutter jusque dans le pire.

La Résistance continue.

00:08:35 : Alors moi comment ça se termine ? les femmes NN ils les envoient vers Mathausen qui est un camp d’homme, très peu de femmes y sont passé donc il fait un grand convoi qui est composé des NN et en partie des femmes tsiganes avec des enfants et dans le camp on dit oh ça doit être un convoi noir mauvais convoi. On nous donne du pain pour 3 jours et on roule on ne sait pas où, on roule et ça traîne on nous met sur des voies de garage, il y avait des bombardements nous sommes entre le 1er et le 6 mars 45 et on roule et on a plus de pain et on arrive au bout du 5e jours épuisées, ça s’arrête et nous sommes à Mathausen près du Danube quand on l’a croisé il n’était pas du tout bleu le beau danube il était tout boueux, et là c’était encore la neige au début de mars et on nous fait monter à pied jusqu’au camp, 5 km puis celles qui peuvent plus avancé une balle dans la tête, on arrive jusqu’en haut dans ce camp d’hommes. Surpris et on attend la douche dans l’angoisse parce que nous les anciennes on se dit que c’est la douche ou c’est les gaz qui nous attende en bas et puis quand le premier groupe est passé qu’il est sorti de l’autre côté on a dit ouf mais quand on sort de l’autre côté qu’est-ce qui se passe ils nous on fait mettre nos vêtements dans le sac de papier pour soi-disant la désinfection, c’est une humiliation terrible parce que ce sont des petits russes ou des petits espagnols qui ont fait la fouille des poux contre les femmes ils étaient aussi gênés que nous aussi humiliés, ,nous on avait l’habitude d’être nu devant les SS mais là c’était nos camarades du camp. Et quand on sort de là il nous ont mis une chemise d’homme et un caleçon on avait rien et on est parti courir dans la neige jusqu’à la quarantaine le lendemain ils nous ont rapporté nos vêtements et puis au bout de quelques jours ce qui est aberrant c’est qu’ils ont fait une sélection et les femmes qui étaient plus âgées ou malades ils ont renvoyé jusqu’à sur Bergen-Belsen, ça c’est le désordre complet etc.

00:11:03: et puis quelques jours encore après ils nous ont envoyé travailler dans une boîte de triage, voilà comment ça se passait pour nous on était coupé des hommes on était isolé ils ont descendu à Mathausen il y a 186 marches imaginez des femmes blessées qui descendent ces marches jusqu’à une baraque un peu extérieur il y avait plus qu’un petit filet d’eau pour avoir de l’eau, on avait plus de robinet, rien, et on se disait bah ça va être la fin mais ça nous amène le 22 avril et là arrive la Croix-Rouge internationale alors moi j’étais avec des blessés parce qu’on était avec des blessés dans le bombardement : faites sortir celles qui peuvent marcher et on se dit ça va être horrible il va encore y avoir une sélection, parce qu’il y avait une chambre à gaz à la fin à Ravensbruck et à Mathausen aussi, j’en fais marcher une ou deux et on voit des hommes qui était là avec une combinaison bleue, un brassard Croix-Rouge et qu’ils nous disent mesdames nous sommes la Croix Rouge et nous venons vous libérer et c’était vrai, au premier abord je me suis dit c’est pas vrai mais c’était vrai et ils nous ont fait remonter au camp et là ils ont fait partir des camions de Croix-Rouge et les blessés c’était très long parce que les nazis qui étaient encore là ne voulaient pas laisser entrer les camions pour mettre les blessés dedans il a fallu parlementer plusieurs heures avec ces gens de la Croix Rouge qui était très courageux et puis finalement on est parti et en 3 jours on est rentré en Suisse, les blessés à l’hôpital et puis désinfecter etc. et là j’étais avec ma mère parce qu’on avait pas été séparé à Ravensbrück, toutes les affaires étaient regroupées ensemble et quand on est arrivé après en France ils nous ont libéré après en France, il fallait faire les papiers tout ça c’était compliqué et j’ai appris la mort de mon père à Buchenwald et puis on est remonté sur Paris à Lutetia et puis je suis retournée en Bretagne il y avait ma grand-mère, mes sœurs aînées qui nous ont accueilli parce qu’ils avaient eu aucunes nouvelles de nous depuis 3 ans on était disparu on était des morts-vivants, des survivants mais quand ma grand-mère nous a vu, ma mère qui était une femme la cinquantaine un peu forte elle avait l’air de 70 ans, elle était squelettique pour un mètre 70. Ils nous ont accueilli on a pris le bateau on est arrivé sur le port il y avait le maire il y a eu un beau discours on était complètement déphasé et je suis rentrée chez moi.

00:15:27 : Ce que nous avons vécu au camp, hélas, se reproduit. Dans les dictatures d’Amérique latine ils ont subi le Régine NN ils ont enlevé des enfants etc on retrouve la même chose, elles continuent les femmes à réclamer leur enfant à lutter pour la vie pour la justice etc j’ai rencontré à cette occasion à Marseille également un groupe qui s’appelle les femmes du Rwanda avec le génocide atroce du Rwanda, il y a des femmes survivantes qui s’occupent des orphelins elles sont présentes encore partout où il y a de la vie et dans plusieurs pays elles luttent pour leurs droits là où elles sont terriblement opprimés sous leur burqa etc. En Afrique ya le problème de l’excision, les femmes continuent à lutter.

00:16:49 : J’ai l’habitude d’aller dans les maisons des jeunes les MJC en région parisienne et je vois des femmes africaines, les filles en particulier dans les écoles, elles veulent réussir parce que c’est leur chance de dire on veut se former, je les admire ces femmes et ces jeunes filles là tout particulièrement.

00:17:44 : Question du public : Merci beaucoup… J’étais particulièrement sensible à ce que vous avez dit au sujet de la Résistance des femmes par des petites choses qui montraient que il y avait encore une vie interne qui voulait lutter contre cette mort qu’on essayait de vous donner, moi je voudrais savoir comment vous viviez vos actes de résistance au moment de la Résistance ? qu’est-ce que vous faisiez ? quel était votre rôle à ce moment-là ?

00:18:40 : J’étais en classe de terminale à Tréguier dans une petite ville des Côtes-d’Armor, on circulait dans la rue une en bleu, une en blanc, une en rouge, des petits gestes qui montraient qu’on ne baissait pas la tête, un jour une de mes camarades, une jeune fille de terminale me dit derrière Tréguier il y a des fermes, des fermières cachent des Anglais alors ces anglais là c’était des gens qui avait été refoulé de Dunkerque, il fallait les faire repartir. Une des premières actions que j’ai vu d’en accompagner un, on lui avait mis un petit béret, ma mère à la mairie avait fabriqué une vraie fausse carte d’identité, j’ai pris avec moi avec la bicyclette pour lui donner les papiers pour son groupe après qui ramène ce qu’il fallait pour partir. C’est comme ça que la résistance a commencé. On leur donnait les premiers renseignements sur les fortifications qui se mettaient en place. Il y a même une histoire un peu drôle on arrive pour prendre le bateau il y avait une sentinelle allemande un gars de la Wehrmacht, peut-être 20 ans, qui s’embêtait là, on descend la bicyclette dans le bateau, l’anglais descend sur le vélo et puis il prend ma roue avant et la petite sentinelle qui s’embêtait a pris la roue arrière et ensemble ils ont descendu mon vélo dans le bateau, une petite jeune fille ça passe bien une petite jeune fille. Mais au retour il y a eu des difficultés parce que les Allemands commençaient à durcir les contrôles ils se rendaient compte qu’il y avait des choses qui se passait.

00:20:00 : Il y a eu autre chose un cas particulier, sur l’île il y avait un petit couvent de religieuses, une des plus âgée qui est tombée malade mais sur l’île il n’y a pas de voiture à moteur et de même pas d’ambulance il fallait un brancardier et les religieuses ont été d’accord que notre anglais devienne un brancardier pour emmener la sœur malade mais les sœurs n’ont jamais reconnu qu’elles étaient résistantes, les fermières qui les ont caché non plus, il y a pas mal de ces femmes qui ont fini à Ravensbruck. Voilà des genres d’actions qu’on menait. Il s’agissait aussi de leur trouver des vêtements civils, de créer des tickets d’alimentation, tout çà s’organisait. Voilà dans mon secteur comment ça s’est passé et moi ce que je faisais quand j’étais à Rennes après j’ai donc commencé ma médecine et toute la côte était zone interdite et Rennes était simplement occupée j’avais un laisser-passé et j’allais sur la côte où j’avais ma grand-mère qui était déjà âgée à Saint-Brieuc et je ramenais à Rennes où il fallait le responsable de réseau était ingénieur de la gare il y avait donc toutes les informations pour les transports d’armement, et y’avait un interprète qui était en liaison avec le bureau allemand et nous avions un poste émetteur clandestin (…) ma sœur aînée a caché des blessés.

2009 / Villeurbanne / dans un bar

  • Date du témoignage : 08/03/2023.
  • Contexte : Marie-José Chombart de Lauwe a répondu à des questions à la suite de son témoignage au Rize de Villeurbanne.
  • Source : AFMD du Rhône (publication le 08/03/2023)
  • Date d'ajout à la base : 07/03/2023
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Ceci est la transcription brute du témoignage de Marie-José Chombart de Lauwe, sans coupe, sans montage.

00:46:05 : Elle récite un poème : « J’ai oublié ton nom, ton visage, tes yeux, je sais pourtant que nous étions deux… ».

Marie-José Chombart de Lauwe :

00:47:05 : C’était dans la volonté des femmes de la nécessitée de survie de rester des êtres humains, on a évoqué la poésie souvent et puis y’en a qui faisait des créations. Le cas de Germaine Tillion est particulier parce qu’elle avait un talent pour l’humour, et pour nous à Ravensbrück c’était très important de se décentrer de l’horreur de ce quotidien. Alors comment cette pièce a été réalisé ? par tout petit bout ya pas une création comme ça. On avait procuré à Germaine du papier parce que c’était un objet rare donc des femmes qui étaient dans les bureaux arrivaient à sortir des papiers mais ça a été réalisé par des bouts de papier alors elle a imaginé un personnage, le naturaliste qui observe et le Verfügbar c’est la malheureuse disponible qui a toutes les corvées qui est misérable, qui est la plus triste images des déportés alors elle s’inspirait de ce qu’elle avait vu dans la journée et c’était pas tous les jours. De temps en temps il y avait une scène qu’elle évoquait et puis le soir on montait au troisième étage, on s’asseyait, elle nous lisait un petit bout de ce qu’elle avait créé en fonction de tel ou tel événement de ce qu’elle avait vécu, elle nous lisait, et nous on était écroulé de rire. Mais c’était très difficile, au début quand ça a été réunie pour faire une pièce dans l’ensemble et la faire passer au Châtelet, on se disait jamais un public ne pourra comprendre parce qu’il y a des mots spécifiques au camp et cet humour à l’égard de nous-mêmes, cette ironie c’est très difficile à faire passer alors nous ça s’est fait par petits bouts et pas tous les jours c’est pas une création continue c’est des jets de temps en temps pour relater un événement ou pour nous regarder. Donc ça a été ramassé petit à petit, elle nous lisait et quelquefois dans la journée elle travaillait au wagonneuse alors qui était les wagonneuses ? c’était un commando de femme mené par une française qui était médecin Paulette Danzimet [orthographe à vérifier] qu’on appelait Bérengère au camp qui partait le matin pour décharger les trains qui amenaient des marchandises pillées par les nazis alors il y a eu une organisation assez formidable, c’est-à-dire ces femmes partez le matin nues sous leur robe et quand le train déchargeait les pull-over etc. elles les mettaient sous leur robe et les ramenaient mais on n’avait pas le droit d’avoir de vêtements civils, à la fin il n’y avait plus assez de vêtements rayés pour tout le monde donc une partie d’entre nous étaient habillées avec des vêtements civils avec une grande croix de peinture dans le dos donc les objets qu’elles prenaient comme ça devaient recevoir une grande croix de peinture, elles avaient caché un petit pot de peinture et marquaient une croix derrière et elles ont équipé ces baraques avec ce genre de chose.

00:50:26 : Germaine Tillion participait à ce commando et on la mettait dans un petit coin, cachée, et pendant ce temps-là elle écrivait des bouts de papier, c’est toute une organisation parallèle parce que vous avez le système nazi oppressif avec les femmes et les hommes SS avec leur chien etc. et nos vies parallèles qui s’organisent comme ça doucement. C’est la création de cette pièce qui est intéressante parce qu’il y a l’humour, le regard qu’elle portait, et ce qu’elle nous en disait le soir parce qu’elle avait pu en faire un petit bout. Par moment elle blague, nous n’avons plus seins etc. On rit sur nous-même, c’est une technique psychologique après la guerre, arriver à se décentrer qu’on a nous-même développé petit à petit et je me souviens dans mon convoi il y avait une des plus âgées, une communiste qui avait été arrêté, elle me disait « tu vois Marie-Jo quand tu es battu il faut arriver à penser à autre chose, tu sors de toi-même » donc avec la technique du Verfügbar aux enfers là on décentrait vraiment.

00:52:00 : Il faut imaginer cette vie secrète parallèle.

Question de Christelle Thomassin : il y a des moments où vous avez senti où ça aurait pu être découvert ?

Tous les jours, il fallait cacher ses notes et alors de temps en temps il y avait des grandes fouilles à ce moment-là il fallait emmener ses petites choses qu’on voulait garder dans une autre baraque, demander à d’autres de les conserver, de temps en temps il y a quelque chose d’assez affreux c’était la désinfection c’est-à-dire on nous mettait dans la moitié d’une baraque on enlevait tous nos vêtements nu et puis ils nous enduisaient d’une pommade contre la gale etc. ils nous faisaient passer en courant de l’autre côté où on nous donnait juste une chemise et on nous emmenait dans une autre baraque mais tous nos objets étaient emmenés en désinfection, il fallait tâcher de savoir par les bureaux quand c’est que ça allait se passer pour planquer ce qui ne devait pas être pris c’est une vie parallèle constante pour sauver quelque chose comme ça et c’est extraordinaire qu’elle ait pu être garder et protéger. C’est une de mes camarades Jacqueline Berry [orthographe à vérifier] qui a pu ressortir l’ensemble de ses feuilles manuscrites qui ont été remonté par Anis… et si vous connaissez le livre il y a un côté où on voit les feuilles manuscrites d’origine et l’autre où c’est mis au propre et quand on a préparé avec les comédiens pour que ça passe au Châtelet il y a eu des petites modifications par les comédiens parce qu’il y avait beaucoup de personnages. Y’en a une partie qui a été limité pour le passer en spectacle, je crois que le public a quelquefois rit à côté de la plaque. C’est délicat oui de comprendre tout ce que ça porte pour nous et du rire sur nous-même. Quand elle évoque notre misère qu’on a plus de seins, qu’on est minable, d’arriver à rire de nous-même.

00:54:09 : Christelle Thomassin : Moi ce qui m’avait marqué c’est aussi le rapport au mensonge pour redonner encore un moral et il y a ce moment d’autodérision on va même lui faire croire que demain on sera libéré…

Alors ça c’est ce qu’on a appelé au camp Radio bobard on va dire que de temps en temps il y en avait une qui lançait « on a appris que la Libération approche beaucoup plus vite », il y avait celle qui y croyait et celle qui n’y croyait pas, je me souviens avec ma mère elle était plus optimiste moi j’étais plus sceptique on s’est expliqué un peu là-dessus ça c’est encore Radio Bobard de sorte que quand on a appris le débarquement on s’imaginait à la fin de l’été on était chez nous et puis on a su que c’était pas possible, il faut imaginer toute une vie parallèle secrète dans lequel nous essayons de rester des êtres pensants et en même temps on se voyait misérable ce qui était quelquefois très douloureux de voir l’autre se dégrader etc. ça c’était quelque chose de très pénible et il valait mieux essayer d’en rire.

00 :55:27 : A l’époque on croyait qu’avec la graisse humaine on faisait du savon et un jour on va à la douche il y en a une qui lance « avec qui on se savonne aujourd’hui ? » des choses presque cyniques, les faire rentrer dans cette vie, le décentrage ça c’est difficile pour les autres et notre nous. Vous pouvez imaginer comment on crée par petit bout et vous savez on avait une chorale à Ravensbrück, sur la semaine de la poésie j’ai écrit un passage sur une Marianne femme que j’ai beaucoup admiré. Ce que les Allemands n’ont jamais su c’est que cette femme était juive et s’appelait Mila et elle avait été prise parce qu’elle faisait passer des enfants en Suisse clandestinement. Elle avait un talent, elle chantait très bien et elle a créé une chorale d’ailleurs il y avait Denise Vernay et puis tout un groupe et nous chantions clandestinement entre le retour du travail et la sirène, le dimanche les usines ne travaillaient pas, alors là on essaie de se regrouper et de s’entraider, j’ai fait parti de cette chorale. Grâce à Mila Racine alors cette chorale s’est trouvée dans le convoi pour Mathausen, nous étions une bonne dizaine et on est 3 survivantes puisqu’elles ont été tué dans le bombardement. Encore une disparu, j’avais cité France Bloch qu’on appelé Marianne en prison. Et puis le cas de la petite Barbara, l’enfant qui n’a jamais pu devenir une femme. Mais c’est cette vie d’ensemble qu’il faut essayer de percevoir dans lequel s’inscrit des bouts de papier.

Le poème de fraternité de Lili qui est morte au camp, c’était écrit sur des bouts de papier et il y en a qui ont réussi à sortir. Il y a toute une littérature comme ça, clandestine, parallèle, qui a réussi par moment à émerger. L’Amicale de Ravensbrück avait sorti un petit recueil avec 12 poèmes de ces femmes.

Compléments biographiques

Née Wilborts, Résistante, Marie-José Chombart de Lauwe est sociologue. Adhérente de la Ligue des droits de l’homme, elle fait partie de la présidence collégiale de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) et depuis 1996 assure la présidence de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD), à la suite de Marie-Claude Vaillant-Couturier.

Sources et compléments d'informations

Chombart de Lauwe, Marie-José
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