Grandjean, Simone

Simone Grandjean naît le 02/05/1925 à Cluny, Saône-et-Loire, France (FR) - décès le 24/05/2016

Entrée en résistance :

Arrestation : Arrestation pour faits de résistance à Lyon, Rhône - par la Gestapo

Détention avant déportation :

  • à la prison Montluc de Lyon
  • au fort de Romainville

Déportation de répression en 1944 :

  • au camp de Ravensbrück — matricule 37894
  • au camp de Mauthausen jusqu'au 29/04/1945 - libération par la Croix-Rouge

Interventions

2012 / Lyon / collège Maurice Scève

  • Contexte : Témoignage devant les élèves du professeur d'Histoire et Géographie David Rappe.
  • Source : AFMD du Rhône (publication le )
  • Date d'ajout à la base : 06/03/2023
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Ceci est la transcription brute du témoignage de Simone Grandjean, sans coupe, sans montage.

00:07:30 : Bonjour à tous, je suis très contente que ça puisse intéresser des jeunes parce que malheureusement de notre époque il en reste pas beaucoup, il faut que ça se sache il faut que ça continue après nous, alors je compte aussi un peu sur vous comme j’ai compté sur l’équipe de l’année dernière.

00:07:48 : Alors voilà j’avais 18 ans et demi, j’étais dans une petite ville, j’étais pas à Lyon à cette époque et on s’est trouvé à rendre des services à des maquisards qui avaient des armes à déposer d’autres venaient les chercher alors chez mes parents on faisait un peu le relais, on habitait juste en face de la Kommandantur mais c’était un angle de rue, c’était très facile de pouvoir rentrer sans être vu et puis un beau jour on a été vendu par des âmes charitables et il y a eu une grosse rafle, la première je l’ai échappé mais le lendemain on est venu me prendre chez moi et mes parents également, on a été arrêté tous les trois. On s’est retrouvé Avenue Berthelot ensuite Montluc bien entendu, une dizaine de jours à Montluc, pas très longtemps et de là on est parti sur Paris au Fort de Romainville, on est resté 1 mois et un beau jour direction l’Allemagne où on n’en savait rien, on a d’abord fait une escale à Aix-la-Chapelle et après un court séjour on est parti sur Ravensbrück.

00:09:09 : Nous voilà donc dans ce fameux camp qui est très accueillant quand on arrive devant la porte on nous a mis là debout, on nous a fait attendre toute la nuit sans pouvoir ni s’asseoir nulle part, entassé le matin, on est passé au douche mais il y avait pas d’eau, j’ai même pas vu couler une goutte d’eau c’était seulement pour qu’on nous déshabille qu’on nous prenne tout ce qu’on avait sur nous, nos papiers, les bijoux pour celles qui en avaient, tout, on vous laissait rien du tout. On s’est retrouvé toute nue, on nous a collé un uniforme sur le dos, certaines avaient des robes à rayures, la tenue du camp, c’était obligatoire pour celles qui allaient travailler à l’extérieur du camp parce qu’elles étaient plus facilement repérable et alors moi je me suis retrouvée avec un vêtement, une jolie jupe noire avec une grande croix bleu devant et derrière, le tissu dessous était coupé donc impossible de la découdre et puis le haut j’avais une grande veste rouge avec une croix écossaise jaune et blanche, blanche elle l’avait été et on s’est retrouvé comme ça projeté dans un baraquement avec des galoches je faisais du 37, je me suis retrouvé avec du 42, des galoches en bois, alors si la mode est aux semelles de bois en ce moment c’est pas pour moi. On est allé dans ce baraquement alors il y avait sur notre côté, il y avait une entrée, on avait un côté c’était les Françaises et les Belges et de l’autre côté c’était les Russes et les Polonaises. Ce bloc était classé NN on devait jamais revenir et jamais personne ne devait savoir ce qu’on était devenu. Le lendemain, aller à l’appel du travail, à 4h, du matin, 2h planté dehors debout, qu’il fasse beau, qu’il fasse froid, qu’il pleuve, qu’il neige ça n’avait aucune espèce d’importance on avait rien d’autre sur le dos, on avait une espèce de culotte et puis la robe c’est tout ce qu’on avait, il n’y avait rien d’autre, il y avait pas de chaussettes, il y avait pas de bas, il y avait rien et nos godasses à nos pieds. On restait jusqu’à 6h du matin planté comme ça sans bouger, en rang par 5 et on nous comptait mais ils n’arrivaient jamais à trouver le bon compte parce que dans toute l’assemblée il y en a qui bougeait alors elles étaient plus dans la même colonne ça brouillait les calculs, ils ne trouvaient jamais leur compte, ça a duré 2h et après ça c’était fini pour cet appel mais il y avait un nouveau un autre appel c’était l’appel du travail. C’était pour partir au travail.

00:12:35 : L’appel dure encore une bonne heure, les chefs prenaient le nombre de personnes dont ils avaient besoin, les unes c’était pour aller travailler au déchargement sur le fameux lac, déchargement des péniches, parce que le charbon il arrivait par là, il y en a d’autres c’était pour les wagons qui arrivaient des pays qui étaient occupés et dévalisés tout ce qui pouvait voler arrivait là-bas pour le déchargement des wagons. Il y en a d’autres c’était pour le terrassement, d’autre c’était pour les toitures, parce que les bâtiments sont pas très haut vous avez vu, il y avait quelque chose une fuite ou autre chose, c’était nous qui montions c’était personne d’autre. C’était que les prisonniers qui faisait le boulot.

00:13:35 : Il y avait le travail des ateliers chez Siemens. Parce que Siemens ça existait déjà, il y en a qui travaillaient, là il y en avait d’autres qui travaillaient dans un atelier de couture c’est maintenant qu’on appelle ça un atelier de couture, à cette époque c’était les vêtements des militaires tués au front qui revenaient et on découpait tous les morceaux qui étaient bons, où il y avait des trous des balles, un explosif quelconque, c’était tout déchiqueté on y découpait pour faire des pièces nettes qui pouvaient réparer d’autres costumes, c’était ça le travail de couture. Il y en avait des tas d’autres, il y en a d’autres c’était pour tasser les fameuses… avec les rouleaux énormes tirés par des femmes rien d’autre. On partait et le matin ça devait être à peu près 7h du matin quand l’appel était terminé on partait en colonne par cinq toujours on nous comptait encore à la porte du camp parce que quand on sortait du quand on était toujours dans le camp c’était en dehors mais il y avait un périmètre autour du camp alors là oui on pouvait aller travailler on pouvait pas sortir vraiment à l’extérieur ce qui était dans la ville de Fürstenberg, on partait le matin ça devait être 7h et quand on revenait le soir c’était pour l’appel de 6h qui a nouveau sur la grande place, en rang toujours par 5 et on nous recomptait ça durait 1h-2h et après on rentrait au baraquement.

00:15:38 : Au début on avait la gamelle de soupe à midi et puis le soir on avait un morceau de pain qui était grand comme ça, c’était une tranche, sur un pain carré, soit un morceau de fromage on sait pas trop ce que c’était, ou de la margarine pour faire une tartine, c’était les grands jours et quelquefois une cuillère à café de confiture, quelquefois, et au fur à mesure ça s’est dégradé bien entendu, la ration de pain a diminué, plus de margarine, plus de confiture, tous les petits à côté il y en avait plus, on se contentait de la gamelle de soupe mais la gamelle de soupe c’était de l’eau, dedans il y avait soit des betteraves soit des rutabagas quand on avait quelques tranches de rutabagas ou quelquefois une petite pomme de terre qui était grosse comme ça c’était le bonheur, quelquefois il y avait des petits morceaux de viande qui étaient grands comme ça à peu près de la largeur de mon doigt, il y en a qui faisait des échanges moi j’échangeais les petits bouts de viande comme ça parce que c’était douteux, c’était de la viande filandreuse j’avais pas envie d’en manger je la troquais contre la moitié d’une pomme de terre parce qu’au moins la pomme de terre je savais ce que je mangeais.

00:17:29 : Vers 9h, il y avait l’extinction des feux et au lit, la toilette on en parle pas, il y avait pas d’eau il y avait des lavabos mais il y avait pas d’eau au robinet, on en avait déjà pas pour boire c’était encore pas pour se laver. Le matin on avait une petite louche dans un quart en métal émaillé c’est tout ce qu’on avait comme liquide et le liquide de la soupe mais la soupe il y avait plus d’eau qu’il n’y avait de légumes et les légumes n’étaient pas lavés non plus mais bien souvent il y avait une cuillère de terre au fond de la gamelle si vous aviez la chance d’être au début du bidon il y avait pas de terre mais il y avait pas de légumes, si vous étiez à la fin du bidon, il y avait un peu plus de légumes mais il y avait beaucoup de terre voilà c’était nos repas. La toilette on en parle pas, on travaillait tous les jours. Tous les matins c’était 4h la sirène fallait faire vite voilà notre emploi du temps quand tout était normal mais il y a eu des journées qu’on a passé entière a planter dans la cour, sans bouger, par punition. Moi j’avais encore la chance si je peux dire, d’avoir une chef de bloc, du baraquement, c’était une allemande, elle était très dure mais elle était très juste. Si on avait fait une bêtise on était puni et rien à faire pour la faire changer d’avis mais si on était puni par une bêtise que les femmes d’un autre bloc avait fait et bien elle nous laissait planter, elle allait après dans le bureau du directeur et quand elle ressortait elle emmenait ses femmes de son bloc avec elle. Tant qu’elle ressortait pas on pouvait dire elle discute, quand elle ressortait elle disait allez on rentre. C’était une allemande, elle était là depuis 34 tout au début, on lui avait tué son fils, tout pris ce qu’elle avait chez elle, on lui avait coupé une jambe au genou mais je l’aimais beaucoup cette femme, c’était une communiste dans l’âme, c’était une femme épatante et très juste, avec elle il y avait jamais de punitions qui étaient injustes et croyez-moi l’injustice c’est une chose sur laquelle je passais pas et même encore maintenant je ne supporte pas ce qui est injuste et voilà mon séjour à Ravensbrück.

00:20:33 : Et puis un beau jour, au bout d’un an, on nous a réuni, les Russes avançaient, le camp essayait de se vider un peu un peu, alors nous, on nous a envoyé à Mauthausen pour terminer notre séjour, on a donc retraversé l’Allemagne en descendant et j’ai fini à Mauthausen dans un fort toujours, on y est resté moins longtemps, ce qu’on a souffert du froid, quand vous avez rien dans l’estomac, rien de chaud le matin, rien de consistant, de rester planté dans le froid et le froid est intérieur vous n’en sortez pas et quand il pleut le soir en plus vous vous couchez le soir votre robe elle est mouillée, vous pouvez pas vous déshabiller, vous couchez tout habillé, avec la chaleur des autres corps ça arrivait à sécher un petit peu parce que dans les châlis ils sont pas larges il y en a toujours là-bas en exposition ? vous n’en avez pas vu de châlis ? ils n’en ont pas gardé ? c’était large comme ça normalement c’était fait pour une personne quand on est arrivé on était deux après comme y’avait toujours de plus en plus de monde on était trois et on a terminé on était quatre heureusement tout le monde avait pris la taille mannequin, on se couchait sur un côté, emboîtées les unes dans les autres, 2 la tête aux pieds et 2 la tête en haut, quand une voulait se tourner, les trois autres étaient obligées de tourner en même temps, on pouvait pas se tourner quand on en avait envie. C’est quand tout le monde était prêt. Nous y’avait des planches de bois qui étaient larges comme ça mais qui n’étaient pas fixées elles n’avaient pas été coupée au millimètre près alors en tournant bien souvent, elles bougeaient et tout passait dessous. Il y en avait quatre étages alors quand vous dormez déjà à 4 dans un lit et puis d’un seul coup vous vous retrouvez à 8 avec les paillasses en plus on prenait des nuit reposantes, comme vous l’imaginez, mais j’aurais pensé qu’ils en auraient laissé un au moins.

00:23:57 : On a été échangé contre des marchandises, avant la fin de la guerre, parce qu’il y avait beaucoup de pénurie en Allemagne, ils nous avaient échangé c’est pas très honorifique mais contre des marchandises par la Croix-Rouge et c’est la Croix-Rouge qui est venu nous chercher à Mauthausen mais tant qu’on a pas été en Suisse on n’était pas libre quand on a été pour passer la frontière en Suisse à Saint-Gall, on voulait plus nous laisser passer la frontière, du côté suisse bien sûr mais du côté allemand non. Alors il y a eu encore une fameuse discussion parce qu’il fallait respecter, ils avaient prévu d’amener des marchandises et de remmener des femmes, ils avaient bien laissé les marchandises mais ils laissaient plus rentrer avec les femmes alors ils ont quand même discuté pas mal et on a fini par passer la frontière mais quand on a pu s’arrêter du côté suisse, là on a senti la liberté, à ce moment-là seulement, mais tant qu’on avait pas franchi la frontière suisse on n’était pas sûr et on avait bien raison d’avoir des craintes. Et après je suis rentrée. Maintenant si vous avez des questions…

00:25:26 : Question d’un élève : Quand vous êtes arrivés au camp, vous aviez une idée de ce qui allait vous arriver ?

00:25:38 : On n’avait qu’une idée en tête c’était de tout faire pour sauver sa peau mais on ne savait vraiment pas comment on ferait pour la tirer de là on n’avait qu’une idée c’est de retourner en France. Mais quand ? Et comment ? et on n’était pas sûr du tout parce que croyez-moi on en a laissé sur le bord de la route et dans les transports et dans les camps, on en a laissé de partout.

00:26:08 : Intervention de David Rappe, enseignant : Madame Grandjean, je crois que la question de Baptiste c’était de savoir quand tu as été déporté est-ce que tu savais à quoi t’attendre ? Est-ce que tu avais déjà entendu parlé des camps ?

00:26:26 : On pouvait pas s’imaginer, d’ailleurs la porte je sais pas comment elle est maintenant, elle était vraiment pas accueillante du tout et on savait pas ce qui se passait derrière et personne n’avait beaucoup de détails puisque personne n’était revenu ils n’avaient pas pu dire ce qu’ils avaient vu ou vécu alors on s’attendait à tout mais on n’aurait jamais pensé à ce point, je pense pas.

00:27:09 : Mon père et ma mère, on s’est retrouvé tous les trois à Montluc, mon père du côté des hommes, moi je suis allée en cellule et ma mère il y avait une grande pièce où ils appelaient ça le réfectoire mais généralement le réfectoire c’est où on mange, là c’était où elles étaient logées, la dizaine de jours où je suis restée je n’ai jamais vu ma mère, et le jour où je suis partie sur Paris on s’est retrouvé dans la cour, il y avait des hommes qui partait aussi sur Compiègne et j’ai vu de loin mon père qui attendait à l’autre bout dans la cour de Montluc et je l’ai aperçu mais je ne l’ai pas vu et par contre ma mère je l’ai retrouvé pour Paris, à Paris on y est allé un mois à peu près.

00:28:10 : Question d’un élève : Vous êtes restés combien de temps à Mauthausen ?

15 mois. Je suis rentrée la veille de mes 20 ans. On avait aucune communication possible je savais quand j’ai vu mon père dans la cour de Montluc qui partait pour le camp de Compiègne je savais que c’était la dernière fois que je l’apercevais parce que mon père était malade quand ils l’ont arrêté et il ne pouvait pas tenir le coup où on allait et puis ma mère je l’ai perdu de vue au mois de juillet je l’ai retrouvé l’année après au mois de juillet, elle a fait son chemin par les mines de sel et moi je suis partie en montagne, on était parti chacune dans nos directions. Mais autrement pas de nouvelles, ma sœur a eu des nouvelles de ma mère au mois de mai/juin parce qu’elle avait été récupéré par la Suède et c’est les Suédois qui avait donné des nouvelles de ma sœur à ma sœur mais autrement ma mère je l’ai revu qu’à ce moment-là et mon père bien entendu n’est pas rentré lui il est parti directement à Artem dans une dépendance de Mauthausen, alors là, on voyait rentrer beaucoup de gens mais on n’a jamais vu ressortir personne et j’ai regardé sur les livres de toute la déportation qui est donc à Caen je l’ai, j’ai regardé, y en a pas un qui est revenu d’Artem. Là c’était le four crématoire c’est tout ce qu’on voyait de la fumée rien d’autre.

00:30:38 : Question d’une élève : Vous avez revu des amis à vous, qui étaient avec vous dans les camps ?

Voyez-vous à Ravensbrück, parce qu’on a été arrêté une centaine, homme et femme. Celles qui ont eu la chance de rentrer parce qu’on en a perdu en route, on s’est quand même retrouvé et à ce moment-là il y avait pas mal de lyonnaises aussi qui se trouvaient donc j’ai revu après, mais comme elles étaient toutes bien plus âgées que moi. Ah oui j’ai eu des amis que j’ai retrouvé après, j’en ai eu d’autres qui ont pas eu la chance de rentrer, j’ai gardé pas mal de contacts et maintenant vous savez elles sont centenaires, après avoir eu des traitements comme ça faut être résistant pour tenir le coup jusqu’à 100 ans je suppose.

00:32:09 : Question d’un élève : Vous êtes retourné en Allemagne depuis que vous êtes rentré en France ?

Je suis retournée oui j’y suis retourné parce que j’avais donc une sœur, elle s’est mariée, son mari était dans l’armée donc il a d’abord été faire l’occupation en Allemagne, il a fait la guerre et après il a été là-bas en occupation alors comme ma sœur habitait là-bas alors j’y suis allée en vacances je veux quand même voir l’Allemagne d’une autre façon, c’était quand même 10 ans plus tard puis je suis retournée deux fois en vacances chez elle et puis je suis retournée pour un voyage à Ravensbrück j’aurais bien aimé faire un autre voyage à Mauthausen mais les voyages concordaient jamais avec la période que j’aurais voulu être là-bas, j’aurais voulu me retrouver, Ravenbrück, c’est pas pareil, j’y étais plus longtemps donc les saisons ont passé mais à Mauthausen, j’aurais voulu y être à la fin de l’hiver, au tout début du printemps et les voyages concordaient pas et en plus j’ai ma mère longtemps malade après je pouvais pas la laisser je pouvais pas m’absenter, quand ma mère a été décédé c’est mon mari qui a pris la relève et puis les années passant bin vous savez ça m’effraie un petit peu parce que si je fais un voyage comme ça je vais vouloir aller dans d’autres camps qui dépendent de Mauthausen, mais il y en a tellement qui dépendent de Mauthausen et c’est crevant quand on est jeune on passe une bonne nuit le lendemain on est d’aplomb mais plus à mon âge mais j’aurais bien aimé y retourner.

00:34:19 : Question de David Rappe : Pourquoi tu aurais aimé y retourner au printemps ?

Parce que c’était l’époque où j’y étais, j’aurais voulu voir, vous allez peut-être dire que j’étais un peu farfelu, je suis quand même d’une petite ville et de la campagne tout autour et j’examine beaucoup tout ce qui se passe autour de moi, un arbre, je revois un pommier, il y avait une ferme qui était loin il y avait un pommier, pour moi je l’ai baptisé pommier parce qu’il en avait la forme et comme j’étais quand même à 500 m j’suis pas sûre que c’était un pommier mais comme il avait la forme d’un pommier, pour moi c’était un pommier dans cette ferme et je voyais courir les poules, j’aurais voulu revoir l’endroit de la même façon voilà pourquoi j’aurais voulu y aller au printemps, c’est idiot hein ?! et pour revoir les montagnes de neige parce que là-bas il y en a de la neige.

00:36:15 : Question d’une élève : Vous qui aviez vécu ça avec votre maman est-ce que vous arriviez à en discuter entre vous ?

On en parlait oui mais avec ma sœur non, j’ai jamais rien raconté de mon histoire à ma sœur. Ce que je vous dis là elle le sait pas ma sœur. On en parlait entre nous, d’abord les gens nous croyaient pas, quand on sort des énormités et puis maintenant je pèse encore un peu mes mots mais à cette époque-là je donnais les détails comme ils étaient, crus. Non évidemment on disait elle est complètement brelin, ça l’a vraiment secoué alors on préférait se taire. Elle a vécu (sa mère) d’une autre façon elle descendait à 800 m sous terre pour travailler dans une usine c’était des mines de sel, ce qu’elle me racontait c’est quand ces messieurs étaient bien décidés ils descendaient par un monte-charge, pas un ascenseur, quand ils étaient bien décidés tout allait bien et descendez normalement peut-être un peu vite mais enfin il y a d’autres fois où ils lâchaient carrément et ils bloquaient juste avant d’arriver en bas alors j’aime autant vous dire les secousses qu’elles prenaient les pauvres femmes alors elle me racontait bien évidemment moi j’y ai pas vécu, j’ai pas eu l’occasion de descendre sous terre alors elle me racontait des choses comme ça moi je lui en ai raconté d’autres également.

00:38:23 : On a eu des fouilles, il suffisait que quelqu’un ait dans l’idée qu’il y avait des bijoux qui se promenaient, faut dire qu’il y en a un qui arrivait et qui avait des bijoux, évidemment y’en a qui essayait de les planquer, j’en ai planqué une moi. J’avais une montre, j’avais des boucles d’oreilles, j’avais une chaîne, j’avais une bague. J’ai tout donné sauf ma bague. J’ai dit je vais essayer de la sauver mais si j’étais prise avec ça bah c’est pas ma peau que j’aurais sauvé là. Et puis un jour, là je reviens en arrière par rapport à la bague, un jour on était à Romainville, il y avait un départ qui partait pour l’Allemagne, on était condamné dans les baraquements, on voyait dans la cour le convoi qui était prêt à partir évidemment ils ont chanté la Marseillaise et nous on a applaudi à tout rompre et en applaudissant ma bague s’est dessertie, la pierre d’un côté, la monture de l’autre j’ai dit après tout ça fera plus petit je peux peut-être arriver à la planquer et ben elle m’a suivi partout ma bague, je l’ai ramené et elle est là. C’est pas une bague qui avait une valeur énorme, sentimentalement si, c’était une bague de guerre en argent avec une aigue-marine c’était pas un bijou de grande valeur et bien je l’ai ramené, croyez-moi il y en a peu qui ont ramené des bijoux, sur notre centaine d’arrestation, il y a un homme qui lui a sauvé son alliance. Il fallait faire des acrobaties mes pauvres enfants, il y a des fois que leurs examens, ils veulent vous faire du mal mais il y a des fois que ça rend service aussi parce que quand on passait à la fouille, tout y passait. Excusez-moi messieurs mais le devant le derrière tout y passe. Et pour être bien sûr que les dames n’aient rien, qu’on met pour un examen féminin ? Un spéculum. A pas confondre avec les spéculoos c’est pas pareil. Pour être bien sûr que vous cachez rien, ils ont fait l’ouverture ça me servira. Et bien la bague, elle y a fait des voyages, elle en a fait partout, il était pas question de cacher ça dans sa chevelure, il y en a beaucoup qui était rasé, autrement on nous tâtait, tout y passait alors il fallait jongler le temps que vous passiez vers une pour examiner le bas il fallait y passer en haut et vice-versa et voilà pourquoi la bague est revenue. Croyez-moi mesdemoiselles c’est pas drôle, je sais pas si vous en avez vu mais c’est quand même pas tout petit, quand la porte est fermée elle est fermée et pour l’ouvrir un appareil en métal mis avec douceur, excusez-moi si je vous choque mais on a l’habitude de parler clairement, sans détours, ça vous forme un caractère. Croyez-moi !

00:43:33 : Question de David Rappe : Qu’est-ce qui t’a permis de tenir le coup là-bas ?

Moi je voulais rentrer, je voulais pas leur laisser ma peau au schleu, ah non ! Mon père avait déjà été prisonnier 33 mois pendant la guerre de 14 je voulais pas leur laisser ma peau, il y avait rien à faire, je disais mon gras je veux bien, ma viande je veux bien, mais ni les os ni la peau, je veux pas leur laisser. J’avais que ça en tête. Il fallait que je rentre. Ça n’a pas toujours été facile parce que quand j’ai eu le typhus j’étais même plus capable de lutter moralement.

00:44:18 : Question de David Rappe : Est-ce qu’il y a des amitiés qui ont compté pour toi là-bas ?

J’avais une amie, elle était de Seyssel [?], elle s’appelait comme moi Simone. Elle était blonde aux yeux bleus et moi j’étais brune aux yeux foncés on nous voyait jamais l’une sans l’autre, toute les équipes de travail on les faisait en même temps, si on voyait la brune, on voyait la blonde et vice-versa. Malheureusement on faisait tout pareil, j’ai pris le typhus en début de semaine, elle l’a pris à la fin de la semaine, moi je m’en suis sortie mais pas elle. Sa mère était également déportée, elle, elle est restée avec sa mère et moi j’avais pas la mienne et moi j’ai retrouvé ma mère quand je suis rentrée alors que sa mère elle est morte la veille de notre départ de Mauthausen. C’est bizarre, c’était une amitié et ses petites sœurs quand elle sont venues voir au train si elles étaient pas là, on était devenu des animaux. Quand elles sont venues elles ont dit qu’elles cherchaient après ces 2 personnes une dame qui lui dit bah il y a justement l’amie intime de votre sœur qui est là dans ce compartiment j’ai dit les attendez pas elles reviendront ni l’une ni l’autre, vous voyez j’ai pas pris plus de forme on vivait comme ça, on réagissait comme ça, on est revenu complètement, je peux pas dire comment on était… J’aurais pu peut-être mettre des formes, dire elles viendront plus tard ou elles étaient pas en bonne forme, remarquez je disais les choses comme elles étaient. C’est peut-être dur, vache de ma part, mais ça m’a trottait souvent dans la tête depuis. Ça a été la plus grande amitié et puis avec les dames de ma petite ville, y’en a que je connaissais bien avant on était resté intime jusqu’au bout elles sont toutes mortes, il y en a plus qu’une c’est moi. Il reste un homme et moi.

00:47:32 : Restez toujours clair dans votre esprit, ne vous laissez pas embrigader par des idées que l’on peut vous mettre dans la tête en vous faisant miroiter des tas de choses. Rester bien les pieds sur terre et pensez à une chose : n’oubliez jamais la liberté ! elle est trop dure à gagner alors quand vous l’avez…évidemment vous avez pas la liberté de traverser quand c’est le feu rouge, c’est pas un manque de liberté, c’est un respect mais surtout ne perdez jamais ça de vue la liberté. C’est beau d’être dans un pays libre.

00:48:38 : À Cluny on a fait un massif où il y a 22 rosiers, un rosier par chaque femme qui a été déporté et alors on a fait ce massif l’année dernière au mois de novembre. L’autre jour y’a eu la fille d’un copain qui m’a envoyé une grande photo comme ça, c’est la première rose du massif qui a fleuri j’ai pas pensé de l’apporter. Il y a une rose « résurrection » et c’est la rose de Ravensbrück cette rose c’est une femme qui était là-bas. Elle a toute une histoire cette rose. C’est une déporté, les unes parlaient d’une chose, de cuisine, les autres parlaient de cinéma, de théâtre, de livre, c’était un moment où on était un peu tranquille, c’était le soir avant de se coucher et un jour il y’en a une qui dit moi si je rentre je voudrais créer une rose qui s’appellerait « résurrection ». Elle a eu la chance de rentrer et des années après cette rose ça avait continué son chemin dans sa tête elle avait des relations et la rose a été créé, c’était en 55 peut-être et puis la rose s’est perdue. Il y a pas très longtemps l’idée a été à nouveau relancé et un pépiniériste à Feyzin qui l’a refait et qui les vend. Il y en a un autre du côté d’Angers, qui également en fait. Alors quand vous avez parlé des roses qu’on jetait dans le lac…

Compléments biographiques

Simone Grandjean a été déportée en février 1944. Le 18 octobre 2015, elle reçoit la légion d’honneur.

Grandjean, Simone
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